Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le diable est dans les détails(Nietzsche) , dieu est dans les détails (Thomas d'Aquin)

Ces deux propos , devenus des expressions sinon cultes , du moins de

référence , illustrent la tendance que nous avions soulignée dans

l'article sur les interprétations souvent opposées attribuées aux

grands (et aux petits) principes :

au delà de ces principes , auxquels se réfère généralement une majorité de

personnes , leurs interprétations est l'objet d'une multitudes d'avis souvent

contradictoires , comme les citations en titre le soulignent .

Dans les  articles consacrés à l'énantiosémie , nous avions également

signalé que des mêmes mots ou concepts pouvaient avoir des sens

totalement opposés ;

dans les articles consacrés à l'harmonie ou l'équilibre des contraires , nous

avions rapporté les avis de Lao Tseu et d'Héraclite évoquant la nécessité

des "contraires" pour qu'il y ait mouvement et vie , et la synthèse qui se

réalisait dans la pratique entre ces "contraires" pour aboutir à un

équilibre ou une harmonie entre eux . Cet équilibre est en quelque sorte

un état "moyen" , comme peut en témoigner l'état "climax" de la

plupart des écosystèmes .

 

Pour poursuivre l'examen des interprétations sur les phénomènes

contraires , venons en maintenant aux deux citations du titre .

Que le diable se cache dans les détails est en soi un phrase qui peut

déjà avoir des interprétations multiples , voire contradictoires ....

          On peut d'abord considérer que c'est une "tautologie" , un

pléonasme , une redondance , si l'on s'en rapporte au sens étymologique

de "diable". La racine de diable , comme celle de diabolo , se rapporte

à ce qui "se jette en tous sens" , à "ce qui divise" :

ainsi étymologiquement , le diable est ce qui met les choses de travers ,

ce qui divise en une foultitude de détails , d'où l'aspect tautologique de

la phrase de Nietzsche , caché par des jeux de mots et de synonymes ,

et résumable finalement à "le diviseur est ce qui divise" , lorsqu'on fait

abstraction des jeux de synonymes .

          En dehors de cet aspect tautologique , une deuxième

interprétation se propose :

"Un seul être nous manque et tout est dépeuplé" (Lamartine) ,

soit encore : un seul détail nous manque et c'est la ruine d'un projet .

C'est ce qui s'observe souvent dans la pratique journalière , où pour

présenter un projet fondé sur les meilleures intentions , le projet échoue

faute d'avoir examiné un nombre de détails suffisants ...

Pour en revenir au versant spirituel des citations , on peut dire que

"l'enfer est pavé de bonnes intentions" et se consoler en disant qu' "il

n'y a que l'intention qui compte" ( d'où d'ailleurs l'aspect contradictoire

qui peut résider dans une "intention") .

Toutes les politiques clientélistes des gouvernements français depuis au

moins une bonne trentaine d'années en donnent des illustrations :

multiplier le nombre des organismes de fonctions publiques ou

parapubliques (6 millons de personnels en France) avec le degré

d' "efficacité"que l'on connaît , dénoncer simultanément la "société de

consommation " et prôner une politique de "relance par la consommation"

montre bien les errances où des "intentions" proposées" peuvent conduire.

          Une troisième interprétation peut encore être proposée :

elle tient essentiellement à l'erreur de penser qu'en multipliant les analyses,

les divisions et les subdivisions et les sous-subdivisions ... d'une situation

donnée on va pouvoir mieux percevoir l'aspect global de la situation

Ceci conduit à une erreur manifeste où en multipliant "à l'infini" les

points de détails , on crée un brouillard de points qui loin d'éclairer,

masque au contraire la situation ....L'enfer est pavé de bonnes intentions

C'est aussi l'erreur que l'on fait en interprétant Descartes comme l'on fait

le plus souvent ..."diviser un ensemble en autant de parties qu'il faut

pour arriver à bien analyser ce qui se passe dans chaque partie ... et en

reconstituer une synthèse ensuite " ... ! sauf que ....partager un sujet en

frontières arbitraires et attendre que les statistiques et les photographies

obtenues conduisent à un "miracle" d'interprétations globales est un

cliché de plus parmi les clichés qu'on peut prendre , et que multiplier

mille analyses d'un sujet ne servira à rien si l'on n'a pas déjà une idée

directrice de ce qu'on cherche ....

Faire tourner un ordinateur pour qu'il nous donne enfin la bonne

interprétation d'une situation donnée , c' est demander à l'ordinateur de

compenser notre manque d'imagination ...

          Une quatrième interprétations rejoint la précédente en ce que

ce serait plus ou moins volontairement que des "Zélites" et des "Zexperts"

multiplieraient les analyses et les complications d'une situation simple

pour mieux justifier qu'ils sont les seuls à pouvoir trancher le "noeud

gordien"qui se présente . Les "Alexandre les petits" , pour parodier

Victor Hugo parlant de Napoléon III comme de Napoléon le petit ,

connaissent bien la méthode qui consiste à embrouiller une situation

simple sous un flot de clichés pour la rendre "complexe" ..... On s'étonne

après que le citoyen lambda traverse une crise de confiance à l'égard des

"instances " diverses qui sont au "gouvernail" ... !

 

Quand on entend pérorer Patrick C sur les chaines de télé pour dire que

le "bon sens est un concept d'extrême droite" , on lui dit merci de la

profondeur de cette analyse qui ravale "ce qui n'est pas d'extrême droite"

à des errances sur le "mauvais sens" ....

Cet apologie de Patrick C sur la perte de bon sens en dit long sur l'état

actuel de certains discours sur le vide ...

 

Pour en arriver à la deuxième partie du titre , donnons d'abord la

position de Léonard de Vinci :

"les détails font la perfection et la perfection n'est pas un détail "

C'est là une conception philosophique qui parle avant tout de l'oeuvre

d'art , et qui ne se hasarde pas dans le monde particulier de la

"real politic" , quoique la real politic soit "l'art" des compromis , c'est

à dire des équilibres entre les contraires ( voire des harmonies comme

l'affirme Héraclite) .

La position artistique de Léonard est aussi celle de Baudelaire , qui était

d'une attention extrême sur la position et le choix du moindre mot dans

un texte .Certes , les grands poètes sont grands en ce qu'ils apparaissent ,

chacun dans leur domaine , comme insurpassables .

Qui peut prétendre pouvoir dépasser :

"tes yeux sont si profonds qu'en m'y penchant pour boire

j'ai vu tous les soleils y venir se mirer

s'y jeter à mourir tous les désespérés

tes yeux sont si profonds que j'en perds la mémoire" (Aragon)

ou Rilke dans les "quatrains valaisans" , ou

"glacier , soleils d'argent , flots nacreux , cieux de braises

échouages hideux au fond des golfs bruns

où des serpents géants dévorés de punaises

choient des arbres tordus avec de noirs parfums" (le bateau ivre)

Il y a là une perfection dans le détail et le foisonnement imaginatif

qui rend chacun d'eux insurpassable , chacun dans son domaine .

Mais à moins de rester dans un état d'inertie et de béatitude admirative

devant les uns ou les autres et de Socrate ou Lao Tseu , on se doit

d'accepter de porter une partie d'imperfection dans le détail pour avancer

"un peu" sur son propre chemin , comme nous y exhortent d'ailleurs les

mêmes Socrate et Lao Tseu .

 

 

En définitive , que ce soit le "diable" ou "dieu" qui se cache dans les

détails , qu' "il n'y ait que l'intention qui compte" ou que "l'enfer soit

pavé de bonnes intentions" , il n'en reste pas moins que ces interprétations

sont des "jeux de langage" , comme le dit Wittgenstein , et qu'avec des

jeux de langage , on peut "prouver" et dire tout et son contraire , comme

le signalent Socrate et Montaigne .

Ces trois auteurs nous le disent d'ailleurs , résumer un vie à des jeux de

langage , à des sophistiques sophistiquées qui se résument à des

sophismes , c'est "sans doute un peu court , jeune homme " (Cyrano) :

laissez ces jeux et allez au-delà , expérimentez par vous-mêmes , voyez

de vos propres yeux et pas par des yeux d'emprunts , mettez vous en

route de vos propres moyens , réfléchissez de votre propre mouvement ,

méfiez-vous des théories toutes faites , des jugements préfabriqués ;

il n'y a que celui qui ne fait rien qui ne commet pas d'erreurs , telle

pourrait être la conclusion générale de ces trois auteurs , conjuguez

l'initiative avec la connaissance , évitez les redondances et le verbiage

des "Zélites templières" (A propos de ce dont on ne peut parler , il vaut

mieux se taire ! .... / Wittgenstein) .

                              phirey@free.fr

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :