Dans cette même série d'appréciations , on peut aussi dire :
ne pas confondre :
hablar(espagnol : "parler") et hâbleur
ergo (latin ;"donc" ; cf cogito ergo sum) , ergoteur et ergots
parole et palabre
oraison et péroraison
raisonner et ratiociner ; user et abuser
Comme quoi .. "l'excès en tout est un défaut" , puisqu' avec de mêmes
racines indo-européennes , on peut passer d'un sens "neutre" à un sens
fortement chargé de dépréciations .
1) Dans l'exemple du titre , le sens de l'un à l'autre n'est pas
dépréciatif , mais témoigne d'une évolution extrèmement divergente
des termes .
Le terme "péripatéticien" vient du grec "peripateo" qui signifiait
aller de ci de là , déambuler , se promener ; il se rapportait aux
disciples d'Aristote qui avaient l'habitude de deviser en se
promenant . L'énergie mise ainsi en mouvement par la marche
stimulait leurs facultés de penser , et cette pratique est d'ailleurs
assez courante et donne d'autres illustres exemples avec
notamment Einstein et Godël qui avaient l'habitude de tels exercices .
Le terme "péripatéticienne" se réfère quant-à lui à une même pratique
de déambulation , mais qui ne s'exerce pas avec la même finalité ..
2) Le ratiocineur et l'ergoteur
Dans les écoles de la scolastique au Moyen-âge , on parlait latin ,
Aristote trônait en maître , et on usait et abusait de : donc ..donc..
donc.. soit ergo..ergo..ergo..
Cette pratique finit par lasser , et ses détracteurs qualifièrent ses
disciples "d'ergoteurs" ... la similitude avec une expression comme
"se dresser sur ses ergots" n'est qu'une coïncidence , mais l'image
est néanmoins très suggestive ..A force de se gonfler d'importance
et de bomber le torse , on finit par prêter à sourire ( cf la
citation : "je traverse la rue et je trouve du travail") , qui n'est pas
une "rafarinade" .
Il en est de même pour l'usage immodéré de certains termes , qui
vaut à ses auteurs le qualificatif de "ratiocineur" , de "scientiste"
voire de "caniche des américains"(Tony Blair en son temps , pour être
plus "roi que le roi"), de "péroreurs" et non pas d'orateurs , etc...
A ce propos , on a fait à Descartes une réputation qu'on croit
flatteuse , mais qui est cependant très éloignée de la réalité :
en particulier , la formule tant rabâchée "Cogito , ergo sum " , n'est
pas de Descartes mais de ses zélateurs (Surveillez mes amis , je me
charge de mes ennemis , dit Voltaire et d'autres avant lui..) . Dans
la traduction latine du "Discours de la méthode" , Descartes se
contente de valider la formule "ego cogito , ego sum"
Cette distinction n'est pas anodine , et Descartes qui est disciple
d'un doute radical , ne peut pas en même temps remettre en cause des
opinions établies sur des traditions et ériger la "Raison" en
tradition de substitution ..
Par suite , Descartes évite l'excès des donc , qui font un peu
Ding Donc dans les discours des zélateurs ...
Donnons cette dernière citation de Descartes , qui indique toute sa
prudence dans l'utilisation de la raison par les "ratiocineurs" :
"prenons par exemple un triangle , chose apparemment très simple et
que nous pouvons apparemment égaler très facilement ; nous sommes
néanmoins incapable de l'égaler .
En effet , à supposer même que nous en démontrions tous les attributs
que nous pouvons concevoir , il viendra peut-être dans mille ans un
mathématicien qui y découvrira davantage de propriétés, si bien que
nous ne sommes jamais certains d'avoir compris tout ce qu'il était
possible de comprendre en cette chose .
Et l'on peut faire la même remarque à propos de toutes les autres
choses " (Entretien avec Burman , texte 8 , Puf ) .
3) Venant de l'espagnol , nous avons les termes "palabre"(espagnol
palabra pour parole) , hâbleur (espagnol hablar , parler) , et
fanfaron (espagnol fanfarron , de même sens ) .
"parole" est la contraction de "parabole" , du grec "paraballo"
(construit avec le suffixe para et la racine de ballo/je lance ,
pour dire quelque chose comme "lancer une discussion").
on retrouve cette même racine dans des termes comme discobole
(lanceur de disques) , diable ( contraction de dia-ballo , qui
"lance de travers") , baliste ,balistique , symbole ( préfixe
syn , avec) , etc...palabre est l'inflexion dépréciative allouée
à ceux qui abusent de discussion "un peu" creuses ...
Hablar , et hâbleur qui s'y rapporte , se réfère à une racine qui
signifie "parler" , qui en latin s'énonçait par le verbe for
(je parle , supin fatum) et en grec par φημι/je parle . Cette
racine , que l'on peut symboliser par F(voyelle) (Pokorny bha
no 105-106) , s'exprime en français dans des mots comme :
enfant (ou espagnol infant(e)) : "qui ne parle pas"
infanterie ( réservée dans les premiers temps à de jeunes personnes)
fable , fabulateur , ineffable ( "indicible") ,faconde , affable (à
qui on peut parler) ;
de "fama"/renommée : remède de bonnefemme , de "bonne renommée" ,
par abus orthographique , puis infâme (de mauvaise renommée) , etc ...
du supin et participe du verbe latin nous viennent :
fatal ( de la parole divine) , fatidique , mauvais(latin malifatius)
De la racine grecque nous viennent notamment :
euphémisme(préfixe eu/bon) , blasphème (préfixe blas à caractère
sans doute dépréciatif , d'étymologie mal connue) , prophète ( qui
envoie la parole "devant") , aphasie ("sans parole") , etc ...
Quant-à fanfaron , ce mot vient de l'espagnol et ne semble pas avoir
de correspondance indo-européenne : delà , on peut probablement
déduire une racine arabe , la plupart des mots non indo-européens
venant de l'espagnol ayant cette particularité ; la racine proposée
serait l'arabe "farfar"/bavardage .
4) Laïus , rodomontade , matamore ... et beaucoup d'autre ...
Laïus ...est le père "légendaire" d'Oedipe ! Au premier concours de
Polytechnique en 1804 , on proposa aux candidats un sujet sur le
discours prononcé par Laïus à Oedipe : de cette date de 1804 , le
mot est entré dans le vocabulaire ( depuis , on a abondamment
usé et abusé de ce terme dans de nombreux discours "discursifs" ,
pour parler pour ne rien dire , ou tout du moins pour marquer son
territoire par la parole ...) .
Matamore est le nom espagnol d'un vantard qui en toutes circonstances
se proposait de rapporter ses "exploits" de tueur de Maures (matar en
espagnol veut dire tuer , on retrouve cette racine dans matador ) .
Enfin Rodomont était un roi d'Alger , personnage du Roland amoureux,
puis du Roland furieux de l'Arioste , fier , courageux et fort
insolent ... d'où des rodomontades , comme en son temps on a parlé
de "rafarinades" .
5) La "Verbologie" à l'anglaise
Les anglais ont toutes une série de termes pour évoquer les dérapages
"verbologiques" et qui sont pour une bonne part passés dans notre
quotidien : "bullshit" , "crack" , bluff ( ce terme vient de
néerlandais bluffen/se vanter;fanfaronner , et évoquait d'abord dans
la langue de Shakespeare l'assurance avec laquelle on pouvait faire
des annonces bidon au poker pour effaroucher l'adversaire) .
Mais la liste est bien loin d'être exhaustive ... et en français
aussi...
En voici d'ailleurs une petite liste empruntée au dictionnaire des
synonymes de "Sensagent" du Parisien :
hâbleur avaleur, baratineur, beau parleur, bellâtre, blagueur, bluffeur,
bonisseur, bravache, brodeur, capitan, casseur, charlatan, conteur,
crâneur, craqueur, esbroufeur, exagérateur, fabulateur, faiseur, falstaff,
fanfaron, faraud, farceur, fendant, fendeur, fier-à-bras, fracasse, frondeur,
galéjeur, gascon, imposteur, mâchefer, malin, marius , masseur, massier,
matamore, menteur, méridional, moqueur, mythomane, narquois , olibrius,
pourfendeur, rodomont, tranche-montagne, vantard, vanteur, vendeur
d'orviétan , péroreur ergoteur, harangueur, laïusseur, palabreur, pontifieur...
etc...etc...
très loin de l'exhaustivité ....
Phirey@free.fr