Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Alain Badiou : éloge des mathématiques (publié en 2015 collection "champs , essais" )

A travers la problématique du monde contemporain , Alain Badiou donne une estimation de l'évolution de la philosophie : pour lui ,une philosophie se doit de tenter d'analyser et de comprendre le monde sur une base la plus large et la plus exigeante possible , au plan des connaissances comme sur celui de la cohérence .

La philosophie se doit de tenter cet effort d'organisation , par une construction d'une "métaphysique" structurant la "physique" des phénomènes collectés au cours de l'analyse , de l'enquète .

Cette enquète se doit de porter sur les 4 domaines perceptibles dans nos quotidiens : les domaines des sciences , des arts , de la politique et de l'amour .

 

Mais comment structurer cette réflexion et les raisonnements qui la portent ?

Les premiers efforts vers une organisation logique de la pensée sont observables chez Parménide ( environ -520 , - 450 aJC ) , sur des bases de logiques mathématiques largement établies par des prédécesseurs comme Thalès ou Pythagore . Dans sa dialectique entre l'Etre et le Non-Etre , d'où il déduit par une sorte de raisonnement par l'absurde que , l'existence du Non-Etre débouchant sur des contradictions , seul l'Etre est , Parménide donne un des premiers exemples d'une argumentation serrée sur le plan logique .

Si Kant fait naître les Mathématiques avec Thalès (-570 , -495 aJC) , Badiou porte la philosophie sur les "fonds baptismaux" avec Parménide , puis son essor avec Platon (-428 , -348 aJC) , et rappelle que la devise inscrite sur l'entrée de son école était :

" Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre "

Dans ce "siècle d'or" de la civilisation grecque qui suivit les batailles contre les Perses ( Thermopyles , Marathon , Salamine ) , une véritable explosion culturelle se manifesta dans les cités , tant du point de vue artistique que politique ou rhétorique :

Dans "l'euphorie" ambiante ( vite douchée par les désastres de la guerre du Péloponnèse ), deux types d'Ecoles se firent face : Socrate et Platon , d'une part , défendaient les principes d'une réflexion fondée sur la rigueur "géométrique"de l'argumentation , les sophistes de l'autre se présentaient comme des professeurs de rhétorique affermissant les capacités de leurs adeptes dans les joutes oratoires où tous les arguments étaient bons pour l'emporter .

 

Cette époque grecque revient comme un boomerang sur notre monde contemporain : la politique ne semble plus que le théâtre d'affrontements rhétoriques où des professionnels s'affrontent dans des joutes électorales , où les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent .

Notons un point que Badiou n'aborde pas , à savoir que le discours syndical est aussi un discours politique , portant lui aussi sur l'organisation générale de la cité ( ce qui va sans dire va encore mieux en le disant ) .

Qu'observe-t-on à l'issue de ces débats où l'on manie tout autant la rhétorique que la phraséologie , où le fond disparaît de plus en plus devant la forme ?

Sitôt terminés , on replie les "programmes" aux contenus souvent évanescents , et on passe au concret , c'est à dire à peu , très peu , le maintien d'un statu quo aux équilibres de plus en plus précaires ..... La politique médiatisée se réduit comme peau de chagrin à de la rhétorique "sophistiquée" , c'est à dire de sophistes ....

 

Badiou propose de refonder la réflexion et la philosophie sur le terrain de ce qu'elle a toujours été depuis Platon jusqu'à Descartes , Spinoza , Kant et tant d'autres : une réflexion rigoureuse et précise , portant sur l'ensemble des activités des citoyens , englobant le champ des sciences et des mathématiques en particulier pour restructurer des raisonnements qui paraissent en avoir bien besoin. Badiou rappelle d'ailleurs que Kant estimait que sans le raisonnement fondé sur une organisation logique et mathématique , la philosophie n'existerait pas :

c'est cette logique qui est la pierre de touche essentielle , quasi ontologique , qui distingue la philosophie de la sophistique .

Dans des débats échevelés où l'on sait tout sur rien et rien sur tout , la philosophie générale des propos passe hélas de la philosophie à la sophistique , jouant sur tout ( émotion , oppositions catégorielles , diatribes diverses , etc ...mais surtout pas du fond , en évitant soigneusement la cohérence des arguments ).

Badiou rappelle aussi les conceptions de Spinoza sur le plan de la connaissance :

le premier stade de la connaissance est celui où il y a imbrication de connaissances sensibles et d'imagination , soit "l'ignorance ordinaire" , où l'exigence de preuves cède la pas au récit et à la pensée magique , aux approximations et impostures de toutes sortes .

Le deuxième est celui d'une connaissance conceptuelle ordonnée , où la pierre de touche est la raison et la cohérence des propos , où l'on démontre point par point ce qui est avancé . On ne peut pas faire l'économie de ce stade , sous peine de rester dans la pensée magique .

Le troisième stade , enfin , est celui du dépassement du précédent , pour aboutir à une conception plus globale des réalités où l'intuition peut "tutoyer" la complexité du monde .

Débordons là des propos de Badiou et Spinoza : ce troisième stade de la connaissance évoqué est un stade où il y a convergence entre beaucoup de vrais penseurs ; par ordre chronologique , c'est par exemple celui d'un des yogas de L'Inde , le "jnanayoga ( le yoga de l'exercice de l'activité mentale ) , qui pour les indous permet de tendre à l'unité spirituelle du monde ; c'est celui de Socrate , qui après avoir exercée son activité mentale à démolir consciencieusement les postures des sophistes de tout genre , accède par "la connaissance de soi-même" à une connaissance plus intime des rouages du monde et au tutoiement avec son "daimone" ;

C'est encore la position de grands mathématiciens que furent Pascal , Descartes , Leibniz , qui après avoir soumis toutes appréciations au crible de la raison , dépassent ce stade pour tendre vers "l'hypothèse Dieu" ; c'est aussi , malgré les réserves exposées par Badiou , le cas de Wittgenstein , qui termine son analyse serrée développée dans le "Tractacus logico-philosophicus" par :

" Mes propositions sont des éclaircissements en ceci que celui qui me comprend les reconnaît à la fin comme dépourvues de sens , lorsque ... passant par elles , il les a surmontées ( il doit pour ainsi dire jeter l'échelle après y être monté .) . Il lui faut dépasser ces propositions pour voir correctement le monde "

" Sur ce dont on ne peut parler , il faut garder le silence" ( c'est à dire que lorsqu'on arrive au troisième stade , où bien ce que l'on voit est inexprimable – ce que dit Socrate – ou bien que toute forme de vision globale est essentiellement personnelle et ne peut en aucun cas faire l'objet des proclamations grandiloquentes d'intégrismes quelconques – ce que dit également Socrate , en se refusant d'affirmer des positions personnelles et en disant qu'il ne sait rien )

Rappelons ici que "panorama" veut dire étymologiquement : "pan" ( tout) , orao ( voir) , soit un point d'où l'on peut voir dans toutes les directions , un point de visions globales .

 

 

Ce que disent finalement Badiou et tous ceux qui sont cités , c'est que dans des époques de dégénérescence de la pensée "cohérente" , il est grand temps de revitaliser les exercices de pensées par la pratique de la raison "cartésienne" , sous peine de rester dans les pensées magiques et les impostures , les rumeurs , les sophismes : entre contes , récits , légendes......et mécomptes , il n'y a pas de distinction ( dans les trois sens du terme ) .

( je reviendrai de façon plus détaillée sur l'argumentation de Badiou en faveur de la logique "mathématique" dans une autre partie )

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :