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Mal nommer un objet , c'est ajouter au malheur de ce monde (Camus , dans "Philosophie de l'expression")

Camus , dans "La philosophie de l'expression" , utilise cette phrase pour
commenter la pensée du philosophe Brice Parain .
Mais Camus lui-même prend-il parti dans cette prise de position qu'il attribue

à Parain ?
Revenons en d'abord à Socrate . Le terme de "philosophie de l'expression"
est d'ailleurs un concept qui qualifie on ne peut mieux l'essence de son
comportement .
Socrate est avant tout quelqu'un qui a entrepris non pas d'entrer dans
les ordres de la "dialectique" , mais dans l'attitude du dialogue :
la "dialectique" est cet art(ifice) du discours qui consiste à multiplier
les frontières , les catégories , les séparatismes , pour les faire
dialoguer ensuite dans d'impossibles propos , comme si en étouffant le
monde sous une multitudes de barrières , on pouvait ensuite le faire
revivre selon ses propres attentes .
Socrate retourne les armes de la dialectique , inventée entre autres par
les sophistes , contre eux-mêmes :
vos discours , leurs dit-ils , qui consiste avant tout à partager le
monde en une multitude de catégories pour pouvoir mieux  faire de la
jonglerie intellectuelle avec celles-ci et prouver ensuite tout ce
que vous voulez , une chose et son contraire en même temps , ces
discours sont vides de sens .
Ce qui a un sens dans l'esprit de Socrate est le dialogue entre les

personnes : partager les points de vue , les commentaires , les
impressions , les idées , ... sans prosélytisme , sans la présomption
de vouloir "marquer son territoire par le langage" .
Socrate est aux antipodes de cette attitude si fréquente qu'elle en
devient le passage presque incontournable , de "marquer son territoire
par le langage" , et ce bien entendu de "marques indélébiles" ....
Comme dit Pascal , "qui veut faire l'ange fait la bête "   

 

Mais "nommer un objet" , c'est déjà le faire entrer dans un moule , le
moule d'un mot , d'un sens préétabli , d'une acception étroite qui ne
désignent pas nécessairement toute l'étendue , toute l'envergure de
"l'objet" : de ce point de vue , bien nommer les objets , dans leurs
essences , étant une opération pour le moins "délicate" , parler avec
des mots est déjà "ajouter au malheur du monde" ...
Le langage dirait Esope est déjà la meilleure  et la pire des choses .
Mais dirait Socrate , si l'on se départit de l'attitude qui consiste à
vouloir "marquer son territoire" , le langage peut être un excellent
moyen de pouvoir partager des idées ... jusqu'à un certain point
toutefois .
Notons d'ailleurs que Socrate , comme Wittgenstein , ne franchit
jamais ce point , et qu'il  reste précurseur de  l'expression de ce
dernier :
"A propos de ce dont on ne peut parler , il vaut mieux le taire" .  
On pourrait résumer l'attitude socratique par :
parler avec des mots pour partager des points de vue , sous deux
"impératifs catégoriques" : ne pas en profiter pour vouloir "marquer
son territoire " ( par des marques "indélébiles" , cela va sans dire) et ne

pas dépasser

un certain point dans le discours , précurseur en cela des termes de
Wittgenstein.

 

Quelle pourrait être la position de Camus dans le propos qu'il a amorcé
dans la phrase en exergue de "Philosophie de l'expression" ?
Poursuivons pour cela ses commentaires sur Parain :
Parain entend "marquer avec des arguments nouveaux un paradoxe aussi
vieux et cruel que l'homme , ... car l'originalité de Parain , pour le
moment du moins , c'est de maintenir le dilemme en suspens . Il affirme
sans doute que si le langage n'a pas de sens , rien ne peut en avoir , et
que tout est possible . Mais ses livres montrent en même temps que les
mots ont justes assez de sens pour nous refuser cette ultime certitude
que tout est néant"
On voit que le commentaire de Camus va nettement plus loin que la phrase:
"mal nommer un objet , c'est ajouter au malheur de ce monde" , et qu'il
ajoute ce commentaire qui nuance le premier propos .
"maintenir le dilemme en suspens ... si le langage n'a pas de sens , rien
ne peut en avoir ...les mots ont juste assez de sens pour nous refuser  
cette ultime certitude que tout est néant" ...
D'ailleurs Camus est dans ces remarques en droite ligne de ce qu'il
affirme dans "Le mythe de Sisyphe"  :
"Je laisse Sisyphe au bas de la montagne ! On retrouve toujours son
fardeau . Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux
et soulève les rochers . Lui aussi juge que tout est bien . Cet univers
désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni futile . Chacun des
grains de cette pierre , chaque éclat minéral de cette montagne pleine
de nuit , à lui seul forme un monde . La lutte elle-même vers les sommets
suffit à remplir un coeur d'homme . Il faut imaginer Sisyphe heureux"

 

"les mots ont juste assez de sens pour nous refuser cette ultime
certitude que tout est néant" ... "Il faut imaginer Sisyphe heureux"
Ainsi pour Camus nous nous heurtons assez rapidement aux limites du
langage et à l'absurde de cette condition humaine qui consiste à parler
avec des mots inappropriés , d'agir en remontant sans cesse un fardeau
au sommet d'une montagne , qui ne cesse toujours de rouler vers le bas
une fois remonté .
Si bien nommer les choses est dès lors un exercice périlleux , on peut
concevoir que "mal les nommer" est un exercice qui ne peut "qu'ajouter
au malheur du monde" , et qu'ainsi on franchit un point de non retour
(comme le suggèrent Socrate et Wittgenstein dans la formulation de ce
dernier : "à propos de ce dont on ne peut parler , il vaut mieux le
taire" ) .  
On pourrait imaginer une conclusion sur le langage exprimée ainsi :
les langues de terre sont comme une langue de mer qui s'avance hésitante
au milieu de vagues déferlantes ,
ou comme Esope :
le langage est la meilleure et la pire des choses ...
La conclusion générale de Socrate serait sans doute exprimée en des
termes un peu plus entraînants que ceux de Camus ("Il faut imaginer
Sisyphe heureux") , lui qui passa son temps dans les rues d'Athènes à
dialoguer avec chacun avec enjouement ... et engouement ...

 

Notons pour évoquer les limites de la phraséologie "dialectique" qu'il
y a plusieurs façon de les dépasser ; entre autres :
observons d'abord que les animaux communiquent en dehors de toute forme
de dialectique , et qu'il y a sans doute des capacités dans l'homme
d'établir ce type de communication , même altérées par les usages ;
avoir recours à un certain bon sens tiré de l'expérience pourrait en être
d'une alternative utile ....
Observons aussi que le théorème de Gödell établit qu'il y a des vérités
inatteignables par un certain nombre de dialectiques ... et que les
vérités démontrables "dialectiquement" sont dans une proportion infime
dans l'ensemble des vérités ...et cela d'autant plus que  la dialectique
sert de support à de purs exercices de "jongleries pseudo intellectuelles"
dont les zélites raffolent ...



"Mal nommer un objet , c'est ajouter au malheur du monde" ......et faire
de la "phraséologie verbologique" , à grand renfort de préceptes
moralisateurs à la DSK ou à l'Olivier D , c'est en bout de ligne ,ramener
l'école , l'économie , le communautarisme et les banlieues ,les pratiques

sociales , etc ... , à ce qu'elles sont aujourd'hui ...
"Le char de l'état navigue sur un volcan" comme dit Mr Prudhomme , et les
Zélites Tartuffières qui ont trouvé leurs niches écologiques dans les
recoins des "Temples" ont finis par y trouver une simple niche , qui leur
retombe sur la tête ... Mal nommer un objet , c'est rajouter au malheur
de ce monde .... nous en savons quelque chose ...       

 


 

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