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Socrate , ou l'art du lacher prise

Socrate est un de ces esprit qui a illuminé durablement nos sociétés ,
tant par ses capacités à analyser et raisonner , que par ses aptitudes
à la spiritualité : il réalise en quelque sorte une synthèse entre des
pôles que certains jugent opposés , entre l'esprit critique , ce que nous
définissons actuellement comme la capacité intellectuelle , les
différentes formes de raisonnement , l'esprit de géométrie de Pascal ,
et d'autre part ce que le même Pascal définit comme un esprit de finesse ,
l'intuition , le sens d'une globalité , le sens d'un au-delà de nos
contingences ordinaires .

 

Réfléchir et philosopher , comme un art de de vider de ses pré-jugements.

Il préconise le raisonnement comme un art de déconstruire nos raisons
immédiates , nos modes de pensées , nos certitudes  :
Socrate , c'est bien l'art de se "décramponner" de nos habitudes de
comportement , de fléchir devant un "réfléchir" quotidien qui est plutôt
un réflexe et une réflection , l'art de "larguer" les amarres pour découvrir
plus de "largesse" intérieure , l'art de faire "un pas de côté" et de
prendre du recul par rapport à nos schémas personnels ou collectifs .
Cet art de faire un pas de côté , de lever la tête dans les tourbillons
de nos incitations souvent mécaniques , cet art là est bien le propre de
toutes les activités vraiment créatrices :
c'est l'art de "dé-couvrir" le quotidien sous le flot des apparences ,
de  "dé-nicher" , de "dé-celer" ce qui est caché sous la patine de
nos redites , de "dé-pister" en sortant des sillons d'un disque un peu
rayé , de "dé-voiler" ce que est obscurci sous la multitude des écrans
qui nous entourent , etc ...
Socrate est bien le prophète du "dé-" .
Dans le mythe de la caverne , Socrate nous dit que réfléchir , c'est
s'affranchir  des apparences des situations sur le fond de la caverne ,
des images sans imagination , des réflexes conditionnés , des standards
trop évidents qui aveuglent ...
Réfléchir , c'est d'abord une capacité de faire un certain vide devant
des flots de "sollicitations" qui nous enferment dans des "solitudes" ,
c'est ouvrir le regard comme un oeil qui éclot , faire un arrêt
intérieur devant nos attitudes de projections immédiates des  concepts
et pré-jugements qui nous animent ...
réfléchir , cela commence bien par cette capacité de se vider
intérieurement  de ses stéréotypes , de ses à-priori ..


 
Socrate,ou l'art de la suggestion
Une fois ce préalable réalisé , Socrate fait siennes les deux sentences
qui figuraient sur le fronton du temple de Delphes :
"Connais-toi toi-même " , et "Rien de trop "
On peut dire que "rien de trop" est la discipline qu'il s'applique
avant tout à lui-même , et qu'il  fait à ce point "rien de trop" qu'il
profère rarement une opinion personnelle .
Socrate procède par maïotique et eironeia : eironeia est le terme qui
désigne le fait d'interroger en feignant l'ignorance , et qu'on traduit
à tort par "ironie" . Certes , on a toujours l'impression que dans ses
dialogues , Socrate joue avec son interlocuteur et ironise quelque peu ,
mais c'est un à-priori dont Socrate se défend lui-même en affirmant que
sur le sujet abordé , il n'a pas d'opinion établie et qu'il ne feint en
aucun cas  l'ignorance .
On peut prendre cela pour une pirouette et une ironie au second degré ,
mais il est plus probable qu'il n'en est rien et que Socrate , sous
couvert de bonne humeur qui est sa marque constante , ressent intimement
cette obligation de ne faire "rien de trop" et d'éviter toute forfanterie
qui conduirait à "l'hubris" , à la démesure que la maxime du temple de
Delphes recommande à tout prix d'éviter .
Donc Socrate interroge son interlocuteur en se disant ignorant et dépourvu
de tout a-priori sur le sujet abordé , et conduit son interrogatoire selon
le processus de "maïotique" de façon à faire prendre conscience de la
subjectivité des opinions à son interlocuteur .
Il y arrive à ce point que l'interlocuteur sort de la discussion
complétement décontenancé et abasourdi , comme sous l'effet d'un électrochoc:
Ménon  compare cela à l'effet d'un poisson torpille qui frappe de stupeur et
d'engourdissement celui qu'il touche  .

 

Un Socrate fortement marqué de spiritualité .
A l'inverse des philosophes et des penseurs qui élaborent des systèmes de
pensées ou se basent sur des hypothèses fortes et indiscutables et tendent
par prosélytisme de  convaincre de la justesse d'enfermer le monde dans
leur système ou réseaux d'hypothèses , il n'y a rien de tel chez Socrate .
Il y a toujours chez lui ce scrupule de "rien de trop" , il n'est pas là
pour parler de lui et faire du prosélytisme , il n'est là que pour le plaisir
de discuter et d'aider son interlocuteur à trouver sa propre voie , il n'est
pas un "gourou" qui "guide" son élève sur le chemin de l'éveil car il n'a pas
de chemin , il aide simplement la personne à sortir des ornières dans
lesquelles elle est tombée , libre ensuite à la personne d'aller dans la
direction qu'elle juge bon de prendre .
On ne saurait trop insister sur le point que Socrate n'a pas de chemin à
proposer , se refuse énergiquement à en proposer un , et laisse , après
avoir "frappé de torpille" comme le dit Ménon et complétement décontenancé
son interlocuteur , ce dernier "en plan" : il a dégagé l'horizon de
l'interlocuteur , il ne fera strictement rien de plus .
Il y a chez lui cet extraordinaire scrupule de n'influencer en rien cet
interlocuteur pour le mettre sur une piste qui pourrait très bien être
une fausse piste en désaccord finalement avec la personnalité intime de
celui-ci : tu es l'objet de toute mon attention , interlocuteur , mais
je ne saurais te forcer la main en quelque manière que ce soit , estime
Socrate .
Le mieux est l'ennemi du bien , l'hubris se cache dans les trop bonnes
intentions ...
De fait , Socrate en rapporte en permanence à sa propre conscience ,
conscience qu'il appelle son "daimon" et qu'on pourrait appeler
son "sur-moi" si ce sur-moi n'était par si profondément intériorisé en
lui-même qu'il en devient un "moi" : même dans ses états d'esprit les plus
"extériorisés" , les plus "extravertis" , Socrate a toujours ce lien avec
sa conscience la plus profonde , le fil n'est jamais rompu , il a toujours
ce sentiment intérieur d'y référer pour tout ce qu'il affirme .
On pourrait dire que l'ego et le sur-moi de Socrate sont un seul et même
état d'esprit , dans un état de spiritualité qui est permanent et qui peut
atteindre des stades de paroxysme quand il entre dans des états d'extase
( qui peuvent durer plusieurs heures) .

 

Cet état de forte spiritualité n'a d'incidence dans le cours de ces propos
que dans la mesure où cela peut confirmer que Socrate s'interdit toute
forme de manipulation , de prosélytisme , d'endoctrinement sur son
interlocuteur , qu'il n'est pas là pour parler de lui-même et pour s'admirer
comme on voit tant de personnages contemporains pratiquer cet exercice ...
ne faire "rien de trop" comme une injonction qu'il s'impose , suggérer et
jeter des pointillés pour indiquer qu'il existe des voies pour sortir des
ornières , motiver son interlocuteur pour cela , donner un élan de propulsion
...mais pas plus , pas d'endoctrinement , pas de verbiage gratuit , pour
éviter que le phoenix ne devienne un perroquet ...

 

Sors de la caverne dans laquelle tu n'as que les ombres de phénomènes
extérieurs , et vois de tes propres yeux ...

 

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