Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

De l'esprit de géométrie et de finesse dans le mot "Mesure"

Le mot "mesure" vient du latin mensura (mesure) , et du verbe metior
(mensus au participe) : mesurer , eux-mêmes du radical
indo-européen Me(t) (racine 703-4 de Pokorny) qui exprime l'idée de
mesurer :
ce mot "mesure" participe à la fois à l'esprit de géométrie quand
il signifie prendre des mensurations , ou prendre des mesures dans
le sens de s'organiser ...
Il participe à l'esprit de finesse quand il signifie "être mesuré" ,
faire bonne mesure , prendre la mesure de (estimer une situation ,
évaluer ) , prendre la juste mesure de , ou à contrario  faire
preuve de démesure , etc ...
Il a aussi un  intermédiaire dans des expressions comme :
"être en mesure de" (être capable de ) , "deux poids deux mesures"
( où "mesure" prend le sens de "décision") , au fur et à mesure
(petit à petit) , dépasser la mesure (où "mesure" prend le sens de
"règles de ce qui convient") , etc ...

 

On peut se poser la question de savoir à partir de quand ces
distinctions se sont opérées dans les langages , si cela est
simplement la traduction d'une évolution "moderne" des mentalités .
L'examen de la filière indo-européenne nous en donne des réponses :
dans la plus ancienne source connue de langage indo-européen , le
sanskrit , on trouve les termes suivants :
matra ( mesure , mensuration) , mati ( mesure , connaissance juste ,
sagesse) , miti (mesure , connaissance) ...
En grec , cette filière fait apparaître :
metron ( mesure , instrument de mesure ) , metristes ( juste mesure ,
modération ) , metis ( sagesse , ruse , aptitude à faire des plans ,
qui est le propre d'Ulysse dans le poème d'Homère) , metiao (méditer),
etc  ...
La réponse à la question introductive apparaît ainsi sans équivoque:
d'aussi loin que remonte nos connaissances sur le langage écrit (4000
à 5000 ans environ -- ce qui est très peu en regard de l'évolution de
l'humanité ...) , cette distinction entre les deux formes de "mesure",
entre mensuration et être mesuré , a toujours été perceptible .
La "métis" grecque nous donne une bonne idée de la perception de
l'esprit de finesse à la "mode" Ulysse :  
cette "métis" se traduit aussi bien suivant les circonstances par
science , sagesse , adresse , habileté , ruse , art , calcul ,
connaissance équilibrée , efficace , subtilité , etc ... !

 

En revenant à des notions de langages contemporains , voyons d'abord ce
qui dans la filière examinée se rattache au registre "esprit de
géométrie" : il y a mètre , métrer , paramétrer , symétrie , diamètre
géométrie (mesure de la Terre) , baromètre , thermomètre ,
trigonométrie , pentamètre , hexamètre ...
toujours dans ce registre géométrique , il y a avec le radical "mens"
de mensura : mesure , mensuration , dimension , mesurable , immense ,
incommensurable , commensaux (personnes partageant la même table , du
latin mensa : table) , etc..
D'ailleurs ce rapprochement entre une table et un instrument de mesure
est  assez fréquent : on peut évoquer la même évolution sémantique
avec comptoir et compte ; table et tabuler , tabulation ,table de
calculs ; banc , banque et banquier , etc ...

Dans la pratique courante , voyons comment les deux registres
"géométrie et finesse" peuvent  avoir des éléments communs et
se confondre parfois :
Dans le langage musical d'abord , il y a le "métronome" qui donne
la "mesure" : il y a là essentiellement deux termes du registre
géométrique ; mais c'est à travers cette mesure du métronome que
la performance peut s'accomplir et que l'interprète peut donner
toute sa mesure (ou sa démesure ..) : de la même façon  qu'on ne
peut lire à travers les lignes que s'il y a des lignes , on ne peut
donner sa mesure que s'il y a une mesure ...
La musique donne de manière plus générale l'exemple d'une rigide
codification géométrique de son écriture et de ses harmoniques ,
et en même temps la possibilité de dépasser considérablement ce
stade pour qu'à travers lui s'exprime toute la "mesure" (le talent)
de l'interprète .
En termes de poésie , la "métrique" présentait ou présente encore
une (certaine) importance : on comptait les pieds , on tenait ou
tient encore un peu compte d'un certain rythme de la phrase et des
rimes : il y des poèmes en hexamètre , en pentamètre (5 pieds) .

De façon plus globale , l'interpénétration des registres de la
"géométrie" et de la "finesse" ( ou l'absence de finesse)
est très fréquent en français .
Donnons quelques exemples :
il y a le calcul et l'esprit calculateur ; le double et la duplicité
( quant-à multiplicité , ce terme reste essentiellement du domaine
géométrique); le binaire et les combinaisons ; les entiers , les gens
entiers et les gens intègres , l'intégration (de tous les facteurs du
milieu pour aboutir à un équilibre , une "moyenne" , une synthèse ) ;
la main et le manipulateur ; l'artisan , l'articulation , l'art et
l'artifice...
Et pour en revenir à Pascal , il y a la cour de Louis XIV et la
multitude des intrigues , il y a la ou les règle(s) simple(s) ou
complexe(s) , l'étiquette , pour analyser ou codifier les situations
à travers les cribles de la raison ou des dogmes ;  et puis il y a
ce qui dépasse les règles ( dans un sens , pour aboutir à une
perception plus pleine , globale ,synthétique des situations .... ,
ou le dépassement de ces règles dans un autre sens ...) .

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :