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Héraclite et Socrate , premiers adeptes de la "critique de la raison pure"

 

Ηéraclite vécut vers -540 à -480 , Socrate vers -470 à -399 .
Pour rappeler le contexte historique , la bataille de Marathon contre
les Perses eut lieu en -490 (Héraclite avait environ 50 ans) , et
Périclès dirigea Athènes de -461 à -431 (Socrate avait alors de 10 à
40 ans environ) ; il mourut en -429 après le déclenchement de la
guerre du Péloponnèse contre Sparte , guerre qui consacra la défaite
et l'effondrement d'Athènes en -404 .Socrate fut condamné et mourut
en -399 .

 

L'aube de la raison raisonnante a été instituée par les Sophistes en
Grèce vers les années -430 -400 avant notre ère : ces derniers , au
nom de cette raison raisonnante , se faisaient fort de démontrer tout
et son contraire et estimaient  , puisqu'on pouvait avec des arguments
bien affutés démontrer à peu près tout ce qu'on voulait , que ce qui
importait était à peu près uniquement de convaincre ses interlocuteurs
dans les joutes oratoires ou électorales . Ils étaient ainsi des
initiateurs de méthodes qui ont largement fait florès depuis , dans
de nombreux cercles ( cf Schopenhauer et "l'art d'avoir toujours
raison" ) , et qui se sont "perfectionnées" de nos jours dans les
multitudes d'annexes de la "comm" et des "effets d'annonces" .


 
pour Héraclite , les mises en garde dans ce domaine peuvent être
situées dans les aphorismes de référence suivants ( les numéros cités
renvoient à la classification de Diels ) :
No 47 " Sur les plus grandes choses , ne faisons pas de conjectures
à la légère " ( traduction M. Conche)
et le  No 40 : " Une grande érudition n'enseigne pas l'intelligence ,
sinon elle l'aurait donné à Hésiode et Pythagore , .."(trad. J Brun)

Une grande érudition n'enseigne pas l'intelligence , mais elle
permet , conjuguée avec un art rhétorique maîtrisé , d'occuper tout
au moins l'espace du discours , de "marquer son territoire" , et
d'empêcher le ou les autres interlocuteurs d'exprimer leurs points
de vue ..C'est bien ce que nous voyons de nos jours dans maints
"débats" ..
La force de Socrate aura été de prendre les sophistes et autres
rhéteurs à leurs propres jeux , et d'utiliser la raison raisonnante
pour démolir les fausses argumentations de ceux-ci .
Mais Socrate n'est pas un sophiste , il s'arrête là dans son
argumentation et ne va pas jusqu'à "prouver" toutes les fantaisies
qui pourraient lui passer par la tête ( dans ce domaine , Socrate
aurait été très imaginatif , nul ne peut en douter , mais il s'est
toujours refusé à s'engager dans cette voie ) . Les mises en garde
de Socrate sont nettes :
"nous ne percevons de la réalité que l'ombre sur la paroi de la
caverne où nous nous trouvons " et il fait siennes les deux maximes
gravées sur le fronton du temple de Delphes :
" Connais-toi toi-même " et " Rien de trop "
"Rien de trop " : pas d'inflation verbale et de démesure dans les
 propos , dans la conduite , dans les conclusions...
"Connais toi toi-même " : sache trouver par toi-même tes propres
valeurs et ne te contente pas de réciter le "catalogue" de ce qu'on
t'as appris à plus ou moins bon escient , avec plus ou moins bon
escient....  

 

Le logos d' Héraclite et de Socrate , et son devenir .
Après les années -400 avant notre ère , le terme "logos" a pris
les acceptions quasi exclusives de "parole" et de "raison" :
c'est devenu le "discours" argumenté et structuré par la logique ,
et la perception logique du monde vue à travers des procédés de
classifications , de structure et de catégories (la raison) .
En français contemporain , la racine se retrouve  dans des termes
comme "logique","éco-logie" , "cardio-logie","bio-logie", géologie,
mycologie , etc ...., ou pour des termes de discours : monologue ,
dialogue , logorrhée ("le discours qui court"), etc ...
La perception analytique et fragmentée du monde a pris le dessus sur
une perception plus globale et synthétique , on a "coupé en tranche"
la réalité pour en faire ensuite des synthèses , comme si à partir
de "tranches" isolées on pouvait reconstruire la vie , comme si à
partir de photographies de la réalité on pouvait redonner vie à
cette réalité ; on a ainsi confondu le modèle reconstitué de cette
réalité avec la réalité elle-même , comme Marie Shelley a pu le
faire apparaître avec Frankenstein .
Citons à ce propos Descartes , qui n'a pas toujours dit ce qu'on a
voulu comprendre :
"prenons par exemple un triangle , chose apparemment très simple et
que nous pouvons apparemment égaler très facilement ; nous sommes
néammoins incapable de l'égaler .
En effet , à supposer même que nous en démontrions tous les attributs
que nous pouvons concevoir , il viendra peut-être dans mille ans un
mathématicien qui y découvrira davantage de propriétés, si bien que
nous ne sommes jamais certains d'avoir compris tout ce qu'il était
possible de comprendre en cette chose .
Et l'on peut faire la même remarque à propos de toutes les autres
choses " (Entretien avec Burman , texte 8 , Puf )
Ainsi le "modèle" réalisé ne donnera jamais l'assurance de sa
"plénitude" et ne sera jamais qu'un reproduction partielle de cette
réalité .

 

L'utilisation abusive de cette logique est ce qu'on appelle la
"raison raisonnante" , qui se fait toujours fort de démontrer
un peu n'importe quoi  , avec autorité cela va de soi , comme un
regard rétrospectif sur les sciences des temps passés nous en offre
tant d'exemples ..
Ce virage s'est pris essentiellement vers ce moment de -430 à
-400 ans avant notre ère , le logos était avant cette date beaucoup
moins catégorique et catégorisant .
Qu'est-ce que le "logos" pour Héraclite ?
On peut tenter d'expliciter la signification de ce "logos" ancien
en disant que c'est l'esprit ou principe universel qui anime le
monde , qui guide le monde dans son évolution, le conduit vers sa
réalisation , l'esprit omniscient qui "comprend" tout (dans les 2
sens du terme) ; citons les aphorismes :
No 1 (pour partie) " toutes les choses arrivent suivant le logos"
No 72 p.p."le logos qui gouverne le monde"
No 2 p.p. "bien que le logos soit commun à tous , la plupart des
hommes vivent selon leurs réflexions particulières"
No 45 "tu ne saurais atteindre les limites de l'âme , aussi loin
que te porte ta route , tant est profond le logos qu'elle abrite"
Le logos est dans tout , est partout , c'est l'esprit qui
s'adresse à Socrate (son "daimon") lorsqu'il est dans ses phases de
conscience aigüe , c'est cet esprit de conscience globale qui dépasse
l'intelligence mentale de l'homme segmentant la réalité , la
fractionnant par petits bouts et la parcellisant en catégories .
Ce logos ancien est indissociable de la spiritualité , que ce soit une
spiritualité prêtée à une entité agissant sur le monde , ou la
spiritualité propre à l'homme ,  contact entre l'Esprit et la
conscience individuelle .
Ce logos ancien se retrouve en partie dans notre vocabulaire
contemporain sous d'autres racines et vocables , comme le "Verbe" ,
"l'Esprit" , mais cette racine ancienne et première , en perdant
vers -400 ans avant notre ère cet aspect spirituel , a vu son centre
de gravité glisser un peu plus du "Verbe" à la "Verbologie" et à la
"raisin raisonnante" , que Descartes d'ailleurs appelle à utiliser
avec  précaution (cf la citation ci-dessus) .
Cette disparition de la dimension spirituelle du logos s'est alors
accompagnée des emballements du discours et de la "raison
raisonnante" développés pas les sophistes , emballements d'autant
plus légitimés que si tout est prouvable et que toute vérité devient
relative , il n'y a plus vraiment à avoir de problème de conscience :
la seule chose qui compte est d'obtenir une majorité dans une
discussion ou un débat , et de se faire élire .
Les Athéniens avaient accompli la démesure dénoncée sur le temple de
Delphes ("Rien de trop") par cette emphase phraséologique et
perdirent une bataille décisive en Sicile en -413 puis la guerre du
Péloponnèse en -404 ... les Spartiates ayant continué à garder les
pieds sur terre .

 

La suite est connue : l'assèchement du spirituel "traditionnel"
conduisit d'une part au remplacement de ce spirituel par un spirituel
de substitution venu du Moyen-orient et le développement progressif
du Christianisme ; d'autre part l'évolution du logos vers la raison
pure contribua largement à libérer la connaissance scientifique des
pressions des superstitions , avec deux extrêmes qui ont continué à
se déployer : la raison "rigoriste" , l'orthodoxie de la pure ligne ,
qui a connu plusieurs défaites dont la plus sévère avec la
démonstration du théorème de Gödel dans les années 1930 ( un système
logique "suffisamment cohérent" ne peut pas tout démontrer ) ;
d'autre part la permanence d'une "sophistique" qui croit pouvoir s'en
tirer avec des discours de pures formes dont le seul but est
électoraliste .
Mais bien que Descartes ait été abusivement inféodé à un
"cartésianisme" pur et dur ( cf ses réticences à cet emploi dans la
citation du dessus) , la critique de la "raison pure" s'est aussi
bien propagée , tant avec Montaigne que Kant et Gödel , et s'est
installée en position à priori déterminante dans le domaine
scientifique où on considère de plus en plus qu'un modèle n'est
qu'un modèle , et qu'il a vocation à être remplacé un jour par un
autre modèle plus adapté : la citation précédente de Descartes est
de mieux en mieux comprise ...   

 

 

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