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Héraclite et LaoTseu : cesser d'anthropomorphiser les cieux .

Une première idée forte développée par Héraclite et LaoTseu est la
notion de complémentarité des contraires , débouchant sur un état
d'équilibre ente ces oppositions : nous avons évoqué cette situation
dans la précédent article
Une deuxième idée forte commune à ces deux auteurs est cette
nécessité de ne pas anthropomorphiser les cieux , d'arrêter d'y
projeter nos fantasmes , nos obsessions , nos raisons raisonnantes ,
nos manies , tout ce qui modélise les cieux sur nos propres concepts
de vie , d'arrêter d'y projeter nos aspirations et nos comportements,
nos jugements .
S'il est vrai que nos jugements nous jugent , que nos comportements
nous comportent , nos aspirations nous aspirent , alors nous avons
dans les projections que nous faisons sur les cieux d'amples sources
d'analyses de nos mondes mentaux , qu'aucun éthologue ne saurait
renier.
Pour Héraclite , l'appréciation est nette :
aphorisme No 70 : " Les opinions humaines ne sont que des jeux
d'enfants"
No 5 "...ils font des prières aux statues qu'ils possèdent , comme si
on faisait la conversation avec un mur - sans rien connaître de ce que
peut être un dieu ou un héros ."

LaoTseu intervient en disant :
No 2 : Tout le monde tient le beau pour beau , c'est en cela que
réside sa laideur . Tout le monde tient le bien pour le bien , c'est
en cela que réside son mal"
C'est à dire que ce n'est pas en projetant nos codes dans les cieux
que ces codes ont une valeur en soi , c'est même le contraire , ce
n'est qu'un catéchisme dans toute sa rigidité et sa sécheresse .
No 38 : "La vertu suprême est sans vertu , c'est pourquoi elle est
la vertu. La vertu inférieure ne s'écarte pas des vertus , c'est
pourquoi elle n'est pas vertu "
LaoTseu et Héraclite nous tiennent en quelque sorte le célèbre propos
qu'il est plus difficile à un croyant de gagner un paradis quelconque
en récitant son catéchisme , qu'à un chameau de passer par le trou
d'une aiguille .

 

Projeter son "savoir" et sa "science" dans les cieux conduit aussi
bien à la même impasse . Citons Héraclite :
No 47 : " Sur les plus grandes choses ne faisons pas de conjecture
à la légère "
No 40 : "Une grande érudition n'enseigne pas l'intelligence .
Sinon , elle l'aurait donnée à Pythagore et Hésiode ..."
Même prudence , avec peut être moins de véhémence chez LaoTseu :
No 81 : "..L'intelligence n'est pas l'érudition , l'érudition
n'est pas l'intelligence "
No 71 :" Connaître , c'est ne pas connaître , voilà l'excellence.
Ne pas connaître , c'est connaître , voilà l'erreur .
Qui prend conscience de son erreur ne commet plus d'erreur .."
Toujours la même mise en garde chez les deux : projeter dans les
cieux le catéchisme de son "savoir" et de sa "science" n'amène
à rien , "si haut qu'on soit assis , on n'est assis que sur son
cul" dira Montaigne , dont la philosophie dans ces domaines est
semblable : "Quelle vérité que ces montagnes bornent , qui est
mensonge au monde qui se tient au-delà ?"
Devant l'inconstance de nos prétentions ,Montaigne écrit comme
en conclusion ; "J'aimerais mieux qu'il ait une tête bien faite
que bien pleine" .

En définitive , le monde est bien au-delà de nos considérations et
de nos prétentions mentales :
Héraclite No 32 : " L'Un qui seul est sagesse ,souffre et ne souffre
pas d'être appelé du nom de Zeus "
No 45 : " Tu ne saurais atteindre les limites de l'âme , aussi loin
que tu ailles , tant est profond l'esprit qui l'habite "
No 67 : " Dieu est jour et nuit , hiver et été , guerre et paix ,
satiété et famine . Il se transforme comme le feu qui , mêlé
d'aromates , est nommé selon le parfum de chacun ."
C'est aussi ce que disent Socrate ou Montaigne : il faut savoir
faire taire les prétentions mentales affirme Socrate , qui passe à
la moulinette tous les dogmes et les credos , et ouvrir sa conscience
à cet au-delà qui dépasse le raisonnement mental , ce jeu des
classifications , du rangement en catégories .
Il faut s'ouvrir au Logos , à l'esprit, dit Héraclite , au daimon dit
Socrate .
Pour LaoTseu la situation est très semblable :
No 35 : " La musique et la bonne chère attire les passants , mais
tout ce qaui émane du Tao est monotone et sans saveur . On regarde le
Tao mais cela ne suffit pas pour le voir . On l'écoute , cela ne
suffit pas pour l'entendre ..."
No 45 : " La perfection suprême semble imparfaite , mais son action
n'a pas de fin . La plénitude suprême semble vide , mais son action
est inépuisable ... Pureté et quiétude sont la norme du monde "
No 2 : " L'être et le néant s'engendrent , le facile et le difficile
se parfont , le long et le court , le haut et le bas se définissent
l'un par l'autre ..."
Et finalement , l'attitude du sage est toujours la même :
No 26 : " Le pesant est la racine du léger , le calme est maître de
l'agitation . Aussi le sage voyage tout le jour sans quitter son
pesant fourgon...qui s'agite perd la maîtrise de soi "
No 47 : " Sans franchir sa porte , on connaît l'univers . Sans
regarder par la fenêtre , on aperçoit la voie du ciel ... le sage
connaît sans voyager , comprend sans regarder , accomplit sans
s'agiter "
A condition , tout en étant dans le "pesant fourgon" de Lao Tseu , de
savoir ouvrir sa conscience au léger , au dépassement de
l'immédiateté mentale , de ce jeu systématique de coller des
étiquettes à tout ce que nous voyons , de cet esprit qui croit
toujours utile d'enfermer le monde dans des catégories , de savoir
dépasser nos propres dogmes et credos ..... ce qui fait tout de même
beaucoup de choses ...  
Comme le diront les Sceptiques , il faut savoir suspendre le
jugement ; il faut savoir arrêter la moulinette mentale qui a
toujours quelque chose à penser et fait obstacle à l'ouverture de
l'esprit à cet au-delà ... Il faut savoir "désanthrpomorphiser" la
perception du monde , apprendre à dépasser nos récits et nos
récitations , nos lunettes de convention qui nous font voir le monde
comme nous voulons qu'il soit...
Reprenons en conclusion ces propos de Montaigne  :
 J'aimerais mieux que mon fils apprenne aux tavernes à parler ,
qu'aux écoles de la parlerie . Il me semble , de cette implication
et entrelaçure de langage ,.., qu'il en va comme des joueurs de
passe-passe :.. hors ce battelage , ils ne font rien qui ne soit
commun et vil .
Pour être plus savants , ils n'en sont pas moins ineptes ... "
(Essais Livre III chapitre 8 p 159) .

 

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