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Socrate , Nietzsche , et "Le crépuscule des idôles"

Il est des moments où Nietzsche , à force de vouloir donner son avis sur
tout , finit par ne donner que son avis sur rien ...
Qui parfois fait trop l'ange fait parfois la bête ,...
Qui veut trop prouver  n'éprouve que le vide ....
Si haut qu'on soit monté , on n'est assis que sur son cul ...
Quand il croit ouvrir ses bras , son ombre est celle d'une croix  
et quand il croit serrer son bonheur il le broie ...


Ceci ne saurait faire oublier les flamboiements de Nietzsche et sa
remarquable perspicacité , ses intuitions foudroyantes , sa liberté
d'esprit et ses étonnantes capacités à survoler des étendues
immenses , ses dénis de l'intellect comme plus haute capacité
du ressenti humain , son opiniâtreté à voir plus loin que les écrans
de tous genres , que les préjugés , les prémachés , les prédigérés ,
les prétendus , ...  que les "statues" sociales  ...

Mais il est des moments où à force de railler , on déraille ...
Il faut connaître le point d'équilibre , où aller  jusqu'où  ne  pas aller .
Mais comme il le dit lui-même :
"il faut encore porter en soi beaucoup de chaos pour pouvoir mettre
au monde une étoile qui danse " (Zarathoustra) .
Par exemple , dans "Crépuscule des idoles , ou comment on philosophe
avec un  marteau" , il aborde "le problème de Socrate " en montrant que
visiblement il n'a rien compris de Socrate et qu'il se laisse aller dans
ses jugements à ... ses propres préjugés  (chasser le naturel , et parfois ,
 il revient au galop ) , voire à des malversations pures et simples , pour
rester dans l'euphémisme ( voir les 5 ou 6 pages de texte intégral dans
Wikisource par exemple "Le crépuscule des idoles/Le problème Socrate" ,
 successions de médisances , de calomnies et de "chaos qu'on porte en
soi") .


Si l'on doit résumer  les conceptions  de Socrate , on peut les ramener
brièvement à quelques directions essentielles :
1) Se conformer aux deux inscriptions du fronton du temple de Delphes :
"connais-toi toi-même " et "Rien de trop" , le premier point ayant ici la
signification : connais ta personnalité profonde ; le deuxième pouvant se
traduire par : n'en fait pas trop , ne tombe pas dans des excès d'interprétation
et de codification dans des règles figées  qui réduisent le réel à un carcan
rigidifié  , ... tout ce que je sais , c'est que je ne sais rien , dit-il .
2) Procéder par "eironeia" , traduit à tort par "ironie , qui est un procédé qui
consiste à interroger son interlocuteur en ayant l'air de jouer au naïf et en
faisant petit à petit apparaître les incohérences de la position de cet
interlocuteur . La traduction de "eironeia" par des termes plus adoucis
comme "espiègleries " resterait encore sujette à caution , tant il est
possible que l'interprétation au premier degré de l'attitude de Socrate
soit la bonne  ( on veut toujours "complexifier" les choses pour paraître
plus "avisé" , mais ceci traduit souvent un manque de capacité de synthèse)
3) Utiliser ensuite la "maïotique" pour aider son interlocuteur , après avoir
"déconstruit" son argumentation , à le faire progresser vers le "connais-toi
toi-même" ( ce qui est assez habituel : ouvrir ses horizons avant de pouvoir
avancer plus loin )  .


Socrate ne "joue" pas au naïf , il adopte seulement le rôle du naïf , au
premier degré , avec une vitalité , une attention et un engagement de tous
les instants pour les interlocuteurs  .
S'il "déconstruit" et passe à la moulinette toutes les argumentations qu'on
lui propose , c'est pour ouvrir le champ de la réflexion de l'interlocuteur .
 Nietzsche , dans le rare passage lucide de son texte , écrit :
" ce qui a besoin d'être démontré pour être cru ne vaut pas grand chose "
"on ne choisit la dialectique que lorsqu'on n'a pas d'autre moyen . On sait
qu'avec elle on éveille la défiance , qu'elle persuade peu . Rien n'est plus
facile à effacer qu'un effet de dialecticien : la pratique de ces réunions où
l'on parle le démontre assez" . etc ... .
Nietzsche critique ici ce que Montaigne dénonce à propos "des écoles de la
parlerie" où l'on se boursoufle de discours pour "marquer" son territoire à
la manière animale ... les jets de paroles en remplaçant d'autres .
Mais ceci n'a rien à voir avec Socrate : Socrate n'utilise pas la raison , la
rationalité , pour démontrer , mais pour déconstruire ... déconstruire les
horizons préfabriqués , et laisser ensuite son interlocuteur ouvrir ses propres
perspectives , s'il en trouve.... Socrate n'a jamais défini de perspectives toutes
faites .

Il met en pratique le "Rien de trop" du temple de Delphes à sa manière
particulière : je veux bien t'aider à ouvrir ton chemin , mais ce chemin , ce
ne peut être que toi qui peut le parcourir ...


En allant un peu plus loin dans l'analyse , il peut paraître évident que Socrate ,
passé maître dans l'art de la déconstruction , ne pouvait que penser à
l'artificialité de toute construction idéologique :  pourquoi passer son temps à
déconstruire des  citadelles idéologiques si c'est pour en construire une autre à
leurs place ? du moins quand on est sincère .....
Personnellement , je pense que Socrate utilisait le raisonnement rationnel
pour montrer délibérément que le discours discursif lui-même était entaché
de vanité . Sans le dire pour éviter "d'en faire trop" , il a démontré que comme
la langue d'Esope , le "rationnel" est la meilleure et la pire des choses :
le meilleur , quand il permet de s'affranchir des préjugés , le pire quand il établit
des frontières plus ou moins arbitraires et opaques entre des catégories et élève
sur ces bases des forteresses de la raison raisonnante ou de la phraséologie
claironnante .
L'anti théorème de Gödel de la phraséologie claironnante dit toujours :
"dans n'importe quel système idéologique , on peut toujours démontrer
tout ce  qu'on veut "
Comme le dit lui-même Nietzsche , l'intellect est très loin d'être le point
culminant de la perception humaine des vérités .


Pour conclure , on ne peut qu'inviter à lire le texte de Nietzsche sur
"le problème de Socrate " dans "Le crépuscule des idoles" .
Nietzsche présentait-il son propre crépuscule dans ce texte ? Ce texte de
1888 , véritable catalogue d'insanités troublantes , était -il avant coureur de
la folie dans laquelle aller sombrer Nietzsche un an plus tard en 1889
jusqu'à sa mort en  1900 ? Mens sana in corpore sano .....
Cela est vraisemblable , tant l'outrance de ses propos dépasse l'imagination ,
 mais n'enlève sans doute rien à l'extraordinaire pertinence de ses ouvrages
antérieurs .

 

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