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Continu ou discontinu ? René Thom et la théorie des catastrophes

René Thom fut médaille Fields en 1958 ( après la médaille Fields de Laurent Schwartz en 1950 et celle de Jean Pierre Serres en 1954 ) . Il a développé sa recherche sur des situations de rupture de continuité , provenant de toutes sortes de phénomènes , dans les années 60 et en publia les résultats au début des années 70 .

Les résultats en sont connus sous le nom de "Théorie des catastrophes" , le mot "catastrophe"

étant entendu comme la manifestation d'une rupture de continuité dans l'observation d'un phénomène , quel qu'il soit.

Comme la théorie peut être abordée de plusieurs point de vue , nous prendrons celle qu'il a lui-même adoptée dans les années 90 . Citons-le :

"Lorsqu'un espace est soumis à une contrainte , c'est-à-dire lorsqu'on le projette sur quelque chose de plus petit que sa propre dimension , il accepte la contrainte , sauf en un certain nombre de points où il concentre , si l'on peut dire , toute son individualité première . Et c'est dans la présence de ces singularités que se fait toute la résistance " ("Prédire n'est pas expliquer" p 23)

"Pour moi , n'importe quelle discontinuité dans les phénomènes est une catastrophe" (p 28)

"Précisément ,l'essence de la théorie des catastrophes est de ramener des discontinuités apparentes à la manifestation d'une évolution lente sous-jacente . Le problème est alors de déterminer cette évolution lente qui , elle , exige en général l'introduction de nouvelles dimensions ,de nouveaux paramètres " ( p 62 )

Voilà assez succinctement posé le problème , dont nous donnons un exemple , déjà repris dans l'article no 2 sur "Eloge des mathématiques" ( A.Badiou) :

Vous prenez un fil , un câble , un cordon ..... que vous éclairez ( d'un peu loin ) par une lampe . En vous y prenant bien , vous verrez que l'ombre projetée sur le plan de votre bureau peut présenter à un endroit un aspect pointu ( un pic ) , alors que le fil dans l'espace est parfaitement arrondi .Ceci est bien une "catastrophe" , la projection de l'ombre sur le plan du bureau a réalisé une rupture dans l'allure , la représentation du fil : la régularité du fil a été rompue par la projection . En réintroduisant la troisième dimension de l'espace que vous n'avez pas dans le plan , le phénomène retrouve sa continuité .

Deuxième exemple : vous faites une compression "à la César" d'une voiture ou de tout autre objet : l'écrasement de l'objet sur un plan provoque des plis , des cassures , des chevauchements qui n'étaient pas au départ : la projection a provoqué une "rupture" (!) dans l'allure de l'objet .

Prenons un autre exemple : vous parlez et retranscrivez ce que vous dites sur une feuille : le dernier mot de la fin d'une ligne est brusquement séparé du mot suivant par le retour à la ligne , alors qu'en parlant les deux mots se suivaient bien : en projetant vos propos sur le plan de la feuille , vous avez provoqué une nouvelle "catastrophe" , qui se résorbe lorsque vous revenez à la dimension de vos propos dans l'espace .

Dernier exemple : le temps "terrien" connaît une brusque rupture quelque part au milieu du Pacifique sur un méridien qui va du pôle nord au pôle sud . En franchissant la ligne du méridien approprié , vous vous retrouvez soudain avec un jour de plus , ou de moins ( suivant le sens du franchissement ) : il y a une brutale rupture de continuité du temps "terrien" , alors que quelqu'un qui vivrait dans l'espace sans liaison avec la Terre aurait un temps continu ; c'est la projection du temps en l'astreignant à la surface de la Terre qui provoque cette discontinuité ( Voir "Le tour du monde en 80 jours" et Philéas Fogg ! ) .

 

Le propos de René Thom dans sa théorie des catastrophes a été d'établir une "typologie" des catastrophes qui peuvent se produire dans toutes sortes de domaines ( toutes les fois qu'il y a une "rupture" , une discontinuité , dans la représentation d'un phénomène ) . Ce faisant , comme il le dit lui-même , en ramenant ces discontinuités à la manifestatin d'une évolution sous-jacente dans un espace de plus vaste dimension .

Passons sur les difficultés de l'entreprise ......., et arrivons aux résultats .

La classification de Thom fait apparaître 7 catastrophes élémentaires , dont on n' examinera ici que les deux plus habituelles :

La plus simple est le pli . Etendons un tapis de longueur "infinie"sur le sol puis regardons la situation suivant le plan du sol : on voit un seul trait , qui correspond à la largeur du tapis .Il y a là une discontinuité de représentation , le tapis vu du ras du sol est réduit à un segment de droite ( sa largeur ) : c'est ce qui est appelé un "pli" ; faites onduler le tapis sur le sol : toujours vu du ras du sol , le tapis est vu comme une bande comprise entre le pli le plus haut et le sol ; admettant qu'on puisse voir par transparence ce qui se passe dans le tapis , on verra n lignes horizontales correspondant aux n plis réalisés : il y a là l'illustration de n "catastrophes" élémentaires , correspondant aux n plis effectués .

Ainsi , un segment de droite , ou n segments de droites , sont des catastrophes élémentaires , qu'on peut "régulariser" par un processus continu en imaginant par exemple le processus du tapis .

Deuxième exemple : faites défiler sur un enregistreur la succession de n jours et de n nuits :trait blanc pour le jour , noir pour la nuit . On voit alors n traits noirs , n traits blancs qui se succèdent , soient 2n catastrophes élémentaires dites "plis" ; s'imaginer "régulariser" la situation par le processus du "tapis" est là assez artificiel : ici , les processus continus qui "régularisent" la situation dans l'espace sont "un peu" plus compliqués ; c'est la rotation de la terre sur elle-même , éclairée par le soleil .

Dernier exemple : vous marchez sur du sable : la trace de vos pas est un processus discontinu , du même type que les 2 précédents , alors que le "phénomène" qui les produit ( le marcheur) fonctionne de façon continue , mais est totalement différent des 2 précédents ( rotation de la terre ou tapis) .

Sur ces 3 exemples , on voit la limitation de la théorie : il ne s'agit pas d'expliquer le processus qui "régularise" la discontinuité apparente (il peut y en avoir autant qu'on veut : le "tapis" , la "rotation de la terre" , un marcheur , etc ...) , mais uniquement de décrire le type de discontinuité qu'on peut obtenir , soit ici un "pli",ou un succession de "plis"

 

Le deuxième exemple est la "fronce" . Froncez un rideau à l'horizontal , puis en maintenant la partie supérieure "froncée" à l'horizontale , faites pendre le rideau : le passage d'une direction à l'autre fait apparaître une rupture dans la situation initiale du rideau , cette rupture est appelée "fronce" et à l'allure d'un ou de plusieurs V , plus ou moins évasés suivant le degré de rigidité du "rideau" .

Ici , la discontinuité qui apparaît n'est plus une "fausse" discontinuité liée au processus de représentation utilisé , c'est une vraie discontinuité . On peut toujours la "régulariser" par un processus continu en refaisant les transformations inverses des transformations réalisés sur le rideau .Mais l'objet de la théorie des catastrophes n'est pas de décrire ou d'expliquer le processus de "régularisation" qui permet de remonter du discontinu au continu ; son objet est seulement de décrire le type de discontinuité qu'on peut obtenir : ici un (ou plusieurs) V aigu avec des bords plus ou moins évasés .

L'exemple du fil dont l'ombre se projette sur un plan en faisant apparaître un pic est un deuxième exemple (déjà évoqué ci-dessus ) , qui correspond alors à une "fronce" ( encore appelé point de rebroussement ) : là , c'est simplement une discontinuité de représentation , lorsqu'on a projeté l'image du fil ( arrondi dans l'espace ) sur un plan , où la représentation "rebrousse " son chemin. .

Troisième exemple de la vie "courante" (à vélo ...) : observons la position d'un pied ( ou d'un point) sur le pédalier lorsque le vélo avance ; il y a alors une succession d'arches reliées entre elles par les placements du pied en positions basses , où les arches "rebroussent" chemin ; ce rebroussement se fait exactement suivant un V dont la pointe "pique" verticalement ( facile à vérifier avec un vélo... en poussant le vélo à la main de préférence .....plutôt qu'en roulant sur une route en regardant son pied ..)

Là , la discontinuité , bien réelle , est elle aussi provoqué par un processus continu ( la personne sur le vélo , qui pédale ; on peut à nouveau "régulariser" la discontinuité par un processus continu dans l'espace ).

 

 

Finalement , Thom a décrit les 7 "catastrophes" qui peuvent se produire , en faisant apparaître les discontinuités correspondantes comme régularisables par des processus qui sont continus , mais dans des espaces plus vastes (de dimension 2 , 3 , ou 4) : ces discontinuités sont les "traces" de ces processus continus , quand ils sont projetés sur les espaces plus restreints .

Une seule restriction imposée par la théorie pour être applicable : les phénomènes qui produisent les traces discontinues doivent suivre une loi de potentiel , comme pratiquement tous les mouvements observables ( les vents vont d'un potentiel "haute pression" vers un potentiel "basse pression" , votre frigo , votre voiture , fonctionnent entre 2 sources de chaleurs , un objet chute d'un potentiel "haut" vers un potentiel "bas" , etc ...) .

Autre restriction imposée : la théorie n'explique pas comment ces traces se produisent et quels sont les phénomènes qui sont derrière ces traces : les mêmes traces peuvent provenir d'un grand nombre de phénomènes différents , comme nous l'avons vu pour des successions de pas , ou de traits "blancs" et "noirs" .

 

Tout ceci nous amène aussi à une observation déjà notée dans l'article d'Alain Badiou : il y a le niveau de connaissances de ce que la raison peut établir (Niveau 2 de Spinoza ) , puis un niveau 3 où des phénomènes échappent à nos représentations et font appel à un contact plus global , plus "intime" avec le "réel" : quand un phénomène donne une observation "discontinue" , le phénomène lui-même est-il discontinu ?  Dans de nombreux cas il ne l'est pas , nous dit René Thom .Mais on doit d'abord passer par le stade de la raison pour avancer vers un niveau de connaissances plus général...........

 

 

 

 

 

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A propos de "Eloge des mathématiques" ( Alain Badiou)

Eloge des Mathématiques  No 2

 

Dans le premier compte rendu , il était donné un aperçu général de l'ouvrage d'Alain Badiou .

On en avait conclu qu'une approche rigoureuse dans le raisonnement était ce qui séparait la philosophie  de toute autre argumentation  de sophistes , et que cette rigueur , de Platon à Descartes , Spinoza , Kant et beaucoup d'autres , était la pierre angulaire qui distinguait la philosophie des "imposteurs" philosophes .

Disons d'abord que le terme d'"imposteur" est pris dans son sens étymologique : il s'agit de personnes qui sont "en posture" , qui sont dans un "jeu de rôle" , qui jouent à ce rôle parce qu'il y a un auditoire , mais qui se soucient très peu de savoir si la discussion à un intérêt en elle-même : on dirait actuellement qu'ils font de "la com" ( aussi bien "communication" que "comédie" ) .

Il n'y a pas de problème à faire de la "com" , à condition de ne pas être dupe de la situation , et de ne pas vouloir faire passer cela pour de la philosophie .

Tout le problème est bien là : de nos jours , cette "communication – comédie" a pris une telle ampleur qu'elle s'invite dans tous les domaines de l'activité , qu'elle a des écoles et des loges destinées à son apprentissage , comme au temps de la splendeur athénienne , et que plus personne ne prête attention aux conséquences à moyen – long terme de ses propos ; le tout est de bien savoir "vendre " ses dogmes , aussi arbitraires qu'ils puissent être , au grand dam du citoyen lambda qui traduit en se disant : " jusqu'où va-t-on continuer à jouer aux imbéciles ?".

Citons à ce propos une formulation d'Alfred Adler (disciple de Freud ) trouvée dans le blog de Roland Jacquard : on peut reconnaître les personnes qui perdent la tête au seul fait qu'elles prennent des fictions pour des dogmes .

 

Devant une telle situation de "perte de repères" , on cherche le Platon contemporain qui aiderait à redresser la "barre" ; Alain Badiou propose , dans "son éloge des mathématiques" , l'attitude constructive suivante :

d' avoir d'abord une volonté d'être le plus largement ouvert au monde , de connaître le plus précisément les sujets dont on parle .

D' en revenir ensuite à une pensée structurée et logique que l'apprentissage des mathématiques entraîne au mieux ( évoquant Kant qui estimait que sans mathématique , il n'y avait pas de philosophie ).

Citons également Spinoza ( déjà évoqué dans le compte – rendu No1 ) :

Pour Spinoza , il y a trois stades de la connaissance :

Le premier est celui que nous qualifierons "d'infra – rationnel" ( "un mélange de représentation sensible et d'imagination , soit l'ignorance ordinaire" , c'est à dire le stade de la "com") ;

le deuxième est celui de la connaissance rationnelle ;

le troisième stade est celui qu'on peut qualifier de "supra – rationnel" ( celui d'une connaissance qui après être passée par le rationnel , mais après seulement , atteint le niveau d'un contact intuitif , plus global , avec les réalités ) .

 

Donnons quelques exemples de l'utilité d'une réflexion "structurée" par une rigueur de la pensée .

Tout le monde connaît à peu près le paradoxe de Zénon d'Elée , (d' Achille et de la tortue ) : Achille court après une tortue qu'il ne rattraperait jamais , puisqu'à chaque étape , il franchit la moitiè de la distance qui le sépare de la tortue , et que de moitié en moitié , il lui reste toujours une dernière moitié à franchir qu'il ne franchira jamais .( on peut prendre le même modèle avec un escargot qui avance vers un mur , ou vous qui avez une course de 10 km à faire en voiture , etc...) : la stratégie astucieuse de Zénon est la suivante : je divise le parcours à effectuer en une infinité d'étapes ( la moitié de la moitié de la moitié de la moitié , .....etc...) et après je dis qu'il est impossible à une personne de franchir une infinité d'étapes , l'infini n'étant pas du domaine des capacités humaines ..... et le tour est joué ! Le dogme sous-jacent ( il est impossible à un être humain de franchir une infinité d'étapes ) se révèle ainsi très efficace , ......mais faux ! On sait en mathématiques diviser n'importe quel parcours en des infinités d'étapes , et que cela ne constitue pas en soi un obstacle pour évaluer la distance à franchir , ni son franchissement ; que multiplier quelque chose qui tend vers 0 par quelque chose qui tend vers l'infini peut tendre ...vers n'importe quoi , suivant les cas ( par exemple 1/2n multiplié par n sera toujours égal à 1/2 , que n tende vers l'infini ou non , etc..) ; attention dans les manipulations de l'infini !

Le "théorème de la rumeur" peut être un 2eme exemple , qu'on intitulait en latin "ex falso quod libet" ( du faux , on peut prouver n'importe quoi ; rappel étymologique au passage : "quod libet" s'en transformé en "quolibet"..) : par exemple , les éléphants verts sont rendus invisibles quand ils montent dans les arbres ( avez vous déjà vu un éléphant vert dans un arbre ? Non? Alors c'est bien qu'ils sont rendus invisibles quand ils montent dans les arbres ) ;

ou encore : 2x0 = 3x0 , on divise par 0 , donc 2 = 3 ;

ou : soit M le plus grand des nombres ; alors M+1 est un nombre , plus grand que M ; mais comme M est le plus grand des nombres , M+1 ne peut pas dépasser M , donc M+1 = M et par simplification par M on en déduit que 1= 0

 

En définitive , l'apprentissage et la fréquentation de la rationalité par l'intermédiaire des mathématiques et des sciences permet de prendre conscience d'un certains nombres de choses :

que les tours de passe- passe ci-dessus sont bien repérés et connus , ce qui met en garde contre les dérives et les abus de syllogismes , paralogismes et sophismes divers dont nous abreuvent certains tenants de la " com" intensive .

Qu'il y a tout de même des choses qui sont démontrables et vraies , à l'inverse de ce que prétendent certains dogmes de la relativité absolue des vérités ; tout n'est pas relatif , incertain , flou , arbitraire , il y a des bases et des raisonnements qu'on ne peut pas contester , on doit revenir les pieds sur terre à certaines occasions et ne pas prêcher n'importe quoi .

C' est la position déjà évoquée de Platon , Descartes , Spinoza et de tant d'autres , que le passage par cette rationalité structurante est essentielle et indispensable .

Les observations d'Alain Badiou s'arrêtent là , il ne fait qu'entrouvrir la porte qui conduit au stade d'une connaissance supra-rationnelle , "transcendantale" envisagée par Platon , Spinoza , Kant ou d'autres .

 

Ouvrons pour terminer un peu plus cette porte , elle aussi largement ouverte pas les mathématiques et les sciences :

Déjà , Gödell a démontré qu'une petite partie des "vérités" établies à l'intérieur de certains systèmes logiques seulement était démontrables , et qu'une grande partie de ces vérités étaient indémontrables .

Ensuite la théorie du chaos a établi , à partir des bases de Henri Poincaré , qu'un certain nombre de prévisions étaient irréalistes , même dans le cas de systèmes physiques pourtant simples , comme par exemple les interactions entre trois planètes ,( à plus forte raison dans la géopolitique !) .

Puis l'idée de modèle mathématique précise bien que ce qui est modélisable n'est qu'un jeu d'hypothèses tissé à partir d'axiomes et de raisonnements trés structurés , mais que vouloir lancer ce filet sur la réalité a certains aspects aléatoires ( nous n'avons que l'ombre des phénomènes sur les parois de la caverne comme le dit Socrate : ou que les "noumènes" des "phénomènes" comme le rappelle Kant ) .

Rappelons aussi pour terminer que René Thom ( autre médaille Fields de mathématiques ) , bien que contestant formellement l'idée de chaos , a introduit dans sa théorie des "catastrophes" le distinction entre une discontinuité perçue , et une discontinuité réelle : une discontinuité perçue dans le cas de certains phénomènes peut être vue comme une continuité d'un autre point de vue : vous observez l'ombre d'un fil projetée par une lumière , si vous vous y prenez bien , vous verrez une ombre formant un pic à un endroit , alors que votre fil dans l'espace est parfaitement arrondi .

La projection dans un plan de l'ombre a introduit une "rupture" de l'image du fil dans l'espace .

 

Ainsi le "regard" des sciences aboutit-il finalement à cet élargissement de la vue , qui n'est paradoxe que pour ceux qui n'ont pas pénétré l'esprit des sciences :

"Le contraire d'une vérité profonde est une autre vérité profonde" disait Niels Bohr , mais aussi Pascal dans une formulation voisine .

"Prédire n'est pas expliquer" (René thom)

Le démontrable n'est qu'une toute petite parcelle du champ des vérités ( démonstrations de Kurt Gödell)

Le "Rationnel" n'est peut-être pas la totalité de nos possibilités de connaissances , puisque déjà par lui-même il ouvre la porte à une transcendance , mais c'est un stade par lequel il est indispensable de passer pour éviter des dérives qui conduisent vers les sophismes , la "com" , l'artificialité des pseudos discours pseudos logiques , les démagogies de toutes sortes , et "l'anti théorème de Gödell": "en s'y prenant bien et en utilisant suffisamment de situations "à la marge" , on peut "démontrer" n'importe quoi " .

Pour avoir trop bien appliqué cet anti-théorème , nos docteurs folamour de ces 40 dernières années ont réussi ce tour de force "progressiste" :

 l'ascenseur social fonctionne de plus en plus mal , (mais on y supplée par une "politique de quota" .....) ;

l'irrationalisme fait simultanément une intrusion de plus en plus manifeste dans le quotidien .

 

Semez l'irrationalité , devinez ce qui pousse ......

 

 

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Le serpent à sornettes

Qui veut faire l'ange fait la bête .

 

Ainsi d'un mouton à deux têtes ,

qui de l'une conte fleurette

d'une douce voix aigrelette ;

de l'autre , Serpent à sornettes

 

Ces serpents qui crachent du feu

vont moutons à la queue-leu-leu

attiser brasiers de papiers

et aux Temples s'agenouiller

 

Dévots terribles s'il en est

dragons , moutons ou haridelles

véritable arche de Noé

prosélytes sempiternels

 

Tintinnabulant de l'ego

en des échos qui s'amenuisent

quand aux abords de la franchise

paissent les moutons au troupeau

 

Ainsi va toujours le tango

aux houlettes de leurs propos :

ce qui est à toi est à moi

ce qui est ma loi est à toi                                      Avril 2018

 

 

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Etymologie : "Raison" , sa famille et ses dépendances

Etymologie : Raison

 

Le patriarche latin est Ratio ( calcul , compte , raison ) , le grec est Arithmos ( nombre , compte ) , en celtique on trouve "rim" ( nombre en vieil irlandais) pour une racine indo-européenne "ra" ou "ar" ( phénomène d'inversion des lettres fréquents : métathèse ) , ou plus généralement "r + voyelle" ou "voyelle + r" ( pour signifier compte , ajustement , action adaptée )

1 ) Le verbe référent latin qui est reor ( compter , penser ) , dont le participe passé donne ratus (compté , fixé , pensé ) ; les descendants en français sont "ratio" , "pro-rata" , qui se réfèrent à la notion de dénombrement , puis raison , rationnel , rationalité , ratifié , ratification , etc ..

L'inversion des lettres donne une racine en "ar-t" où les notions de compte , d'ajustement se retrouvent dans "arithmétique" ( grec arithmeo , compter ) , logarithme ( logos + arithmos) , puis dans "art" ( latin ars , artis : ajustement , ajustement avec art , grec artisis : ajustement ; artios : bien ajusté , parfait) , et artisan , artistique , artifice , artificier , artillerie etc..

Mal ajusté s'est retrouvé en "in-artia" puis "inertie" et inerte .

Les notions d'ajustement , puis d'assemblage , de jonction , se retrouvent ensuite dans une série de mots comme :

articulation , article , articulé ( grec arthron : jointure , articulation ) , arthrite , et même "orteil" ( "arteil" en ancien français pour désigner l'articulation appropriée du pied )

 

2 ) de la notion d'articulation , le sens a évolué vers la notion de "membre" avec la racine "ar-t" (latin artus : membre) , puis "ar-m" : arm en anglais , Arm en allemand ( bras) ( armus : épaule , clavicule en latin , armos : assemblage , jointure en grec ) , puis avec le prolongement du bras , on est passé à "arme" , armature , armée , armistice , armure , armoirie , armoire ( latin armarium : meuble de rangement des armes ) , armada , gendarme , gendarmerie , etc

La racine "ar-m" avec son sens initial d'ajustement , de juste proportion , se retrouve également dans ;

Harmonie ( grec armonia : assemblage en juste proportion ) , harmonieux , harmonique , etc

 

3)Une variante avec la voyelle "i" a donné des racines en "r i" ou "ar i" que l'on retrouve par exemple dans :

rite ( latin ritus : coutume , usage , habitude) , rituel , ritualité et ir-rité , irritable , irritation ( pour ce qui n'est pas dans les bons usages , le "in"privatif s'étant transformé en "ir" pour des raisons d'euphonie ) , etc

Aryen ( arya en sanskrit : noble , parlant le sanskrit ) , aristocrate ( aristos en grec : le meilleur , le plus "ajusté" avec les coutumes , les moeurs ; cf aussi ci-dessus artios : bien ajusté , parfait ) , Aristote , Aristophane , Aristide , etc

4)Restent les variantes avec la voyelle "o" , et des racines en "or" ou "ord" que l'on retrouvent dans :

ordre , ordonner , ordinaire , ordination , ordonnancement , ordonnance , ordonnable , désordonné , coordonner , coordination , subordonné , primordial , extraordinaire ,etc.... (latin ordino : ranger , mettre en ordre , ordinarius : conforme à la coutume )

orner , ornement , suborner ( latin orno , contracté à partir de ordino , dont le sens premier est disposer , ranger )

 

 

Cette analyse étymologique peut ensuite nous amener à un certain nombre de questions , dont celle-ci , par exemple : En quoi l'étymologie nous renseigne-t-elle sur les modes de pensées qui ont prévalu lors de l'individualisation des mots concernés ? On a des indices , des pistes de recherche , encore faut-il les relier .

Prenons les mots les plus courts , ceux qui ont subi le moins d'évolution (sans les préfixes ou les suffixes qui en altèrent le sens ) :

il y a la piste "rim" ( nombre) en celtique , "ratio" (calcul au sens originel ) en latin , qui se réfèrent à une notion de compte , d'énumération , qui reste d'interprétation directe : on a besoin de compter quelque chose .

La piste "ars" ( ajustement , manière d'assembler , au sens premier en latin) , "ordo" (ordre , rangement ) , se réfère à une manière de ranger des éléments ( une fois comptés , éventuellement )

Cet aspect des choses a du être apprécié puisqu'à partir de là , on n'a que des qualificatifs positifs ou neutres : art , artiste , artisan , artistique , ou articulation , articulaire , orteil ( neutre au niveau psychologique ) , ordre , ordinaire , ordonnancement , etc

La piste "arm" a donné "armus" ( épaule , clavicule ) , arm et Arm (bras en anglais puis en allemand) , "irma" ( bras en sanskrit) , ce qui donne peut-être une indication de la manière de procéder pour compter ou pour classer ( on dirigeait les opérations avec les bras )

La piste "rit" avec "ritus" en latin (usages , habitudes) , "irritus" , semble témoigner de ce qu'on aimait les bons usages , et que les mauvais usages devenaient vite l'objet d'irritations , d'énervements

 

En résumé , pour arranger , classer ajuster , il fallait d'abord compter les éléments concernés , puis les mettre dans un ordre ; le bon ordre semblait apprécié et être "harmonieux" (armonia en grec ) , "artistique" , le désordre plutôt sujet "d'irritations" ou "d'inertie" ( in-artia puis in-ertia ) , ce qui somme toute fait partie d'une organisation de la pensée assez classique .

Tout ceci étant fait , on a pu ensuite réfléchir et penser en terme de ratio , rationalité , rationalisation , pour éventuellement mieux organiser et gérer les différentes tâches à accomplir .

 

  1.  

     

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    Premier matin

    L'esprit au petit matin

    est si léger et si fragile

    si délié et si subtil

    qu'il pourrait danser sur un fil

    et s'envoler du bout d'un cil

     

    C'est une empreinte dans l'argile

    comme un souvenir volatil

    que la pénombre dans ses plis

    révèle , qui du jour s'enfuit

     

    C'est entre nos doigts malhabiles

    une lumière qui oscille

    c'est un arc -en-ciel suspendu

    à vibrer dans le jour ténu

     

    C'est le chant d'un oiseau cristal

    qui d'un souffle effleure le banal

    pour le plonger dans un essor

    sans limite aux bords des aurores                          Mars 2018

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    Alain Badiou : éloge des mathématiques (publié en 2015 collection "champs , essais" )

    A travers la problématique du monde contemporain , Alain Badiou donne une estimation de l'évolution de la philosophie : pour lui ,une philosophie se doit de tenter d'analyser et de comprendre le monde sur une base la plus large et la plus exigeante possible , au plan des connaissances comme sur celui de la cohérence .

    La philosophie se doit de tenter cet effort d'organisation , par une construction d'une "métaphysique" structurant la "physique" des phénomènes collectés au cours de l'analyse , de l'enquète .

    Cette enquète se doit de porter sur les 4 domaines perceptibles dans nos quotidiens : les domaines des sciences , des arts , de la politique et de l'amour .

     

    Mais comment structurer cette réflexion et les raisonnements qui la portent ?

    Les premiers efforts vers une organisation logique de la pensée sont observables chez Parménide ( environ -520 , - 450 aJC ) , sur des bases de logiques mathématiques largement établies par des prédécesseurs comme Thalès ou Pythagore . Dans sa dialectique entre l'Etre et le Non-Etre , d'où il déduit par une sorte de raisonnement par l'absurde que , l'existence du Non-Etre débouchant sur des contradictions , seul l'Etre est , Parménide donne un des premiers exemples d'une argumentation serrée sur le plan logique .

    Si Kant fait naître les Mathématiques avec Thalès (-570 , -495 aJC) , Badiou porte la philosophie sur les "fonds baptismaux" avec Parménide , puis son essor avec Platon (-428 , -348 aJC) , et rappelle que la devise inscrite sur l'entrée de son école était :

    " Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre "

    Dans ce "siècle d'or" de la civilisation grecque qui suivit les batailles contre les Perses ( Thermopyles , Marathon , Salamine ) , une véritable explosion culturelle se manifesta dans les cités , tant du point de vue artistique que politique ou rhétorique :

    Dans "l'euphorie" ambiante ( vite douchée par les désastres de la guerre du Péloponnèse ), deux types d'Ecoles se firent face : Socrate et Platon , d'une part , défendaient les principes d'une réflexion fondée sur la rigueur "géométrique"de l'argumentation , les sophistes de l'autre se présentaient comme des professeurs de rhétorique affermissant les capacités de leurs adeptes dans les joutes oratoires où tous les arguments étaient bons pour l'emporter .

     

    Cette époque grecque revient comme un boomerang sur notre monde contemporain : la politique ne semble plus que le théâtre d'affrontements rhétoriques où des professionnels s'affrontent dans des joutes électorales , où les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent .

    Notons un point que Badiou n'aborde pas , à savoir que le discours syndical est aussi un discours politique , portant lui aussi sur l'organisation générale de la cité ( ce qui va sans dire va encore mieux en le disant ) .

    Qu'observe-t-on à l'issue de ces débats où l'on manie tout autant la rhétorique que la phraséologie , où le fond disparaît de plus en plus devant la forme ?

    Sitôt terminés , on replie les "programmes" aux contenus souvent évanescents , et on passe au concret , c'est à dire à peu , très peu , le maintien d'un statu quo aux équilibres de plus en plus précaires ..... La politique médiatisée se réduit comme peau de chagrin à de la rhétorique "sophistiquée" , c'est à dire de sophistes ....

     

    Badiou propose de refonder la réflexion et la philosophie sur le terrain de ce qu'elle a toujours été depuis Platon jusqu'à Descartes , Spinoza , Kant et tant d'autres : une réflexion rigoureuse et précise , portant sur l'ensemble des activités des citoyens , englobant le champ des sciences et des mathématiques en particulier pour restructurer des raisonnements qui paraissent en avoir bien besoin. Badiou rappelle d'ailleurs que Kant estimait que sans le raisonnement fondé sur une organisation logique et mathématique , la philosophie n'existerait pas :

    c'est cette logique qui est la pierre de touche essentielle , quasi ontologique , qui distingue la philosophie de la sophistique .

    Dans des débats échevelés où l'on sait tout sur rien et rien sur tout , la philosophie générale des propos passe hélas de la philosophie à la sophistique , jouant sur tout ( émotion , oppositions catégorielles , diatribes diverses , etc ...mais surtout pas du fond , en évitant soigneusement la cohérence des arguments ).

    Badiou rappelle aussi les conceptions de Spinoza sur le plan de la connaissance :

    le premier stade de la connaissance est celui où il y a imbrication de connaissances sensibles et d'imagination , soit "l'ignorance ordinaire" , où l'exigence de preuves cède la pas au récit et à la pensée magique , aux approximations et impostures de toutes sortes .

    Le deuxième est celui d'une connaissance conceptuelle ordonnée , où la pierre de touche est la raison et la cohérence des propos , où l'on démontre point par point ce qui est avancé . On ne peut pas faire l'économie de ce stade , sous peine de rester dans la pensée magique .

    Le troisième stade , enfin , est celui du dépassement du précédent , pour aboutir à une conception plus globale des réalités où l'intuition peut "tutoyer" la complexité du monde .

    Débordons là des propos de Badiou et Spinoza : ce troisième stade de la connaissance évoqué est un stade où il y a convergence entre beaucoup de vrais penseurs ; par ordre chronologique , c'est par exemple celui d'un des yogas de L'Inde , le "jnanayoga ( le yoga de l'exercice de l'activité mentale ) , qui pour les indous permet de tendre à l'unité spirituelle du monde ; c'est celui de Socrate , qui après avoir exercée son activité mentale à démolir consciencieusement les postures des sophistes de tout genre , accède par "la connaissance de soi-même" à une connaissance plus intime des rouages du monde et au tutoiement avec son "daimone" ;

    C'est encore la position de grands mathématiciens que furent Pascal , Descartes , Leibniz , qui après avoir soumis toutes appréciations au crible de la raison , dépassent ce stade pour tendre vers "l'hypothèse Dieu" ; c'est aussi , malgré les réserves exposées par Badiou , le cas de Wittgenstein , qui termine son analyse serrée développée dans le "Tractacus logico-philosophicus" par :

    " Mes propositions sont des éclaircissements en ceci que celui qui me comprend les reconnaît à la fin comme dépourvues de sens , lorsque ... passant par elles , il les a surmontées ( il doit pour ainsi dire jeter l'échelle après y être monté .) . Il lui faut dépasser ces propositions pour voir correctement le monde "

    " Sur ce dont on ne peut parler , il faut garder le silence" ( c'est à dire que lorsqu'on arrive au troisième stade , où bien ce que l'on voit est inexprimable – ce que dit Socrate – ou bien que toute forme de vision globale est essentiellement personnelle et ne peut en aucun cas faire l'objet des proclamations grandiloquentes d'intégrismes quelconques – ce que dit également Socrate , en se refusant d'affirmer des positions personnelles et en disant qu'il ne sait rien )

    Rappelons ici que "panorama" veut dire étymologiquement : "pan" ( tout) , orao ( voir) , soit un point d'où l'on peut voir dans toutes les directions , un point de visions globales .

     

     

    Ce que disent finalement Badiou et tous ceux qui sont cités , c'est que dans des époques de dégénérescence de la pensée "cohérente" , il est grand temps de revitaliser les exercices de pensées par la pratique de la raison "cartésienne" , sous peine de rester dans les pensées magiques et les impostures , les rumeurs , les sophismes : entre contes , récits , légendes......et mécomptes , il n'y a pas de distinction ( dans les trois sens du terme ) .

    ( je reviendrai de façon plus détaillée sur l'argumentation de Badiou en faveur de la logique "mathématique" dans une autre partie )

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Confession : Confessional

        François de Sales : Là où il y a de l'homme ,  il y a de l'hommerie

                                       le bruit fait peu de bien ,  le bien fait peu de bruit

     

                                             Fétichisme ou Panurgisme

                                                 Aller de Charybde en Scylla

                                                      aller de Charybde en cela

                                                           qu'à trop en faire par mimétisme ,

                                                                 qui veut faire l'ange fait la bête

     

    Où la raison n'est plus , il reste à résonner

    sur des caisses à vide , avides de sonner

    et sur des litanies où la vie s'est enfuit

    sur des cloches creuses à ragots et à bruits

     

    En ces lieux où l'élan est toujours plus pesant

    l'horloge fatiguée de l'unique tic-toc

    traîne lamentable son ennui en breloque

    En ces lieux plus on parle et où moins l'on entend

     

    Temples confessionnaux noirâtres sont vos eaux !

    Quand l'horizon n'est plus il reste les noyaux

    durs à se contracter et chanter des slogans

    et à se contempler en fétiches pensants

     

    Combattant fake news en l'instaurant eux-même

    où l'on ne compte plus à trop savoir qu'on l'aime ,

    de pose en jeu de rôle , de factice en sectaire

    Compte déboussolé de nord d'apothicaire

     

    Le bruit fait peu de bien , le bien fait peu de bruit

    Tibet qu'ils sont légers tes drapeaux dans le vent !

    Aspirer aux échos du murmure ondoyant

    où l'air en ses frissons raisonne d'harmonies …                   Mars 2018

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    De Bergson à LaoTseu : les illusions de l'intellect

     

    Bergson , 1er prix du concours général de mathématiques en 1878 , 2eme de l'agrégation de philosophie en 1881 ( 3eme Jean Jaurès) , semblait bien armé pour devenir un adepte de la raison raisonnante . Cela n'a guère été le cas , et il a plutôt développé une philosophie axée sur la spiritualité .

    L'intellect est un processus qui vise essentiellement à établir des frontières pour faire apparaître des concepts , des catégories , sur lesquels se fonde un raisonnement . L'intellect est du domaine de l'analytique , à partir duquel on peut tenter de réaliser des synthèses . Or les domaines de l'esprit ne sont pas des domaines qu'on peut couper en petits morceaux : ainsi , toute une partie de la vie n'est pas réductible à ce mode de fonctionnement analytique , et échappe à l'intellect .

    De plus , même en estimant pertinentes les frontières établies pour délimiter les catégories , en recollant des fragments provenant de l'analyse , on ne peut pas nécessairement reconstituer l'objet étudié : on obtient plutôt un costume avec une manche trop longue , un revers trop court , un col disproportionné , etc ... , en oubliant par la même occasion les interactions qui peuvent exister entre les différents éléments du tout , ce qui fausse encore un peu plus la représentation obtenue.

    La philosophie spiritualiste de Bergson a plusieurs point communs avec celle de Lao Tseu :

    Les "contraires" sont des concepts "intellectuels" sans véritable fondement , "assumer ses contradictions" est du pur domaine spéculatif , la vie est animé par un élan créateur que l'un et l'autre  se gardent bien de vouloir anthropomorphiser , les phénomènes sont à entrapercevoir de "l'intérieur" par une vision intuitive , et non de "l'extérieur" en faisant des projections et des moulages de ceux-ci , qui les figent , les "momifient" .

    Un premier exemple pour illustrer la difficulté d'exprimer par des catégories ( ici par des mots) une situation donnée : supposons qu'entre deux principes différents A et B vous soyez convaincus que c'est par une pondération de A et de B que vous devrez vous conduire , disons 54,31% de l'un et 45,69% de l'autre . Comment allez-vous exprimer cela avec des mots dans le contexte général des situations que l'on peut rencontrer ? Cela paraît strictement impossible , et vous direz que vous assumez vos contradictions , sans pouvoir préciser avec une précision générale quand vous opterez pour A ou pour B : ainsi , dans les catégories du langage , certaines situations sont inexprimables par des mots "extérieurs" , seule une compréhension qui vous est intérieure peut les apprécier et est pratiquement incommunicable avec un degré de précision complet .

    Sans compter , comme le dit Montaigne , que je ne suis pas toujours d'accord avec moi-même , et que mon choix du principe A , au lieu d'être à 54,31% , peut varier dans une gamme allant de 50% à 60% !...Lao Tseu exprime bien cette difficulté de l'intellect en disant :

    " ne pas savoir , c'est savoir , voilà l'erreur ; savoir , c'est ne pas savoir , voilà l'excellence" : figer dans des concepts absolus les situations ne permet pas d'en apprécier l'élan , la capacité créatrice.

     

    Mais comment apprécier les situations "de l'intérieur" , plutôt que de les "juger" "de l'extérieur" ?

    Bergson fonde ses conceptions sur l'intuition : cette compréhension des phénomènes est une compréhension par identification , globale , sans jugement , c'est le pouvoir de l'esprit d'appréhender immédiatement les phénomènes .

    C'est le non-agir , le non-juger de Lao-Tseu , le non-penser , le non-projeter : on pourrait dire le lacher-prise , l'abandon des écrans préfabriqués qui nous environnent , des prothèses qui nous aident à "penser" , le retour à une vision directe désencombrée des codes , des signaux mal maîtrisés ; il s'agit de dé-couvrir ce qui est recouvert d'un flot de pré-jugements , un peu à la façon dont Socrate nous enjoint de retrouver la connaissance instinctive qui est en nous et que tout un amalgame d'habitudes , de commodités , de tabous , nous empêche de percevoir : c'est un élargissement , une ouverture de la conscience , il s'agit de passer de "couvrir" à "découvrir" et à "ouvrir" .

    Il s'agit aussi de redécouvrir l'élan spontané des phénomènes et de ne plus se contenter des images , des clichés entourant ceux-ci : puisque l'intellect nous façonne des photographies discontinues des situations en isolant les instants les uns des autres , il convient d'essayer de retrouver une vision "continue" , globale , des évènements .

    L'intellect , par l'établissement de frontières entre les catégories qu'il édifie , atrophie nos sensations : il s'agit de retrouver le plein usages de celles-ci ,  d'en retrouver la force créatrice ( comme différentes pratiques artistiques peuvent nous y convier , à condition d'être aussi libérées des "modes" , des "modelages" , des expressions préfabriquées )

     

    Sur quels aspects sur notre façon d'appréhender le monde cela débouche-t-il ?

    Un de ceux-ci est ce que Bergson appelle le "regard rétrospectif" que nous portons sur le passé :

    Nous sommes devenus de plus en plus "forts"  pour prévoir le passé , en édifiant des lignes directrices qui partent d'autrefois pour arriver jusqu'à nous ; les autrefois sont précurseurs de notre présent en ce sens qu'ils annoncent notre présent .......... si ce n'est , dit Bergson , que ces lignes directrices sont purement fictives ; elles sont tellement fictives , dit-il , que lorsque nous tentons de les prolonger , nous n'arrivons à rien , l'avenir est tout aussi imprévisibles que les lignes directrices du passé jusqu'à nous étaient imprévisibles à leurs époques .

    Toute évolution est intimement liée à des processus créatifs , aucune création n'est prévisible , ne se fait en pronostiquant qu'à tel moment , en appuyant sur tel bouton , on la fera apparaître :

    pour reprendre une comparaison biologique , à un stade de créativités donné , tout écosystème conduit à son stade d'équilibre , à son climax social , et on peut toujours tenter un stade de créativités donné de prévoir son point d'arrivée , l'équilibre entre toutes ses composantes , sa "moyenne" ; mais il est impossible de prévoir , aujourd'hui comme dans le passé , quand une création d'importance se produira  qui donnera ( ou a donné ) une impulsion nouvelle aux systèmes en place : le "pré-romantisme" n'a jamais existé , le romantisme est une pure invention créative qui n'a pas eu besoin de signes précurseurs .

    En bref , l'élan créatif du monde ne se laisse pas endiguer par les concepts de l'intellect .

    Pour reprendre une comparaison des sciences , tout élan ( tout mouvement) a besoin pour se réaliser d'une "différence de potentiel" entre deux sources : que l'on appelle "yin" , "yang" ces potentiels , que l'on appelle Tao ou Nature cet élan , ou de tout autre vocable , il y a une unité derrière les conceptions de Bergson et LaoTseu . Cet élan , la Nature , le Tao , est un jeu spontané de forces créatrices , et l'illusion de l'intellect de pouvoir appréhender ces phénomènes est parfois aussi vain que notre capacité à prévoir l'avenir et le passé !

     

     

     

     

     

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    Généalogie de la morale 3

    Nietzsche et les bobos bien-pensants

     

    Voici quelques extraits des appréciations portées par Nietzsche à propos de la bien-pensance de son époque ( p 164 et 165 , Généalogie de la morale ) :

     

    1) ces punaises coquettes dont l'ambition insatiable est de sentir l'infini jusqu'à ce qu'au bout du compte l'infini sente la punaise ................

    2) ces sépulcres blanchis qui jouent la comédie de la vie .......

    3) les fatigués , usés jusqu'à la corde , qui se drapent dans la sagesse et lancent des regards "objectifs"......

    4) les agitateurs endimanchés en costume de héros , recouvrant d'un heaume magique d'idéal , la botte de foin qui leur tient lieu de tête ....

    5) les artistes ambitieux qui aimeraient représenter l'ascète et le prêtre et ne sont en fin de compte que des pitres tragiques .............

    6) ces derniers nés des spéculateurs en idéalisme , les antisémites qui roulent aujourd'hui des yeux christiano-aryano-bien-pensants et qui , usant et abusant...du moyen d'agitation le plus vil , la pose morale , cherchent à exciter tous les éléments du peuple relevant du bétail à corne ........

    7) cargaisons d'idéalisme de contrefaçon , de costumes de héros et de crécelles à débiter des grands mots ......

    8) échasses de "noble indignation" destinées à apporter de l'aide aux pieds plats de l'esprit .....

    9) comédiens de l'idéal christiano-moral........

     

    Cette faconde exceptionnelle qu'a Nietzsche de créer et de jouer des images , relevant d'une capacité poétique presque égale à celle de Rimbaud dans le "bateau ivre" (!) , mérite une analyse et l'établissement d'une correspondance avec le monde d'aujourd'hui , quelques 140 ans après ces apostrophes :

    les apostrophes 1 et 2 relèvent de la comédie humaine la plus générale , "trans-époques"

    les apostrophes 3 et 4 peuvent se rapporter aux "récitants de catéchisme" de tous bords , qui ayant lu une bonne parole quelque part , se croient obligés de la reproduire doctement et sentencieusement , comme parole d'évangile . Notre monde contemporain en trouve à foison: la maladie s'est sans doute aggravée depuis l'époque de Nietzsche ...

    l'apostrophe 5 peut se rapporter à une espèce en voie de disparition : le pitre laïcard de service qui se croit malin de "bouffer du curé" , alors que lui-même ne fait que réciter un catéchisme des plus plats ( proverbe : le plus "cabot" des deux n'est pas nécessairement celui auquel on pense )

    l'apostrophe 6 s'adressait aux professionnels de l'antisémitisme : c'est une caste qui s'est reconvertie à notre époque et s'adresse aux pros des idéologies et des peurs les plus diverses ...

    l'apostrophe 7 ( crécelle à débiter des grands mots ) est une savoureuse expression pour une catégorie de communicants en pleine expansion de nos jours

    tout aussi savoureuse , l'apostrophe 8 ( échasses de "noble indignation" ) s'adresse à tous les Tartufes de toutes les époques , et est aussi "trans-générationnelle" que la 1 ou la 2

    Pour la 9 , il ne s'agit plus de nos jours de comédiens de l'ordre christiano-moral , mais de comédiens de toute "orthodoxie" ( et "dieu" sait qu'à notre époque , ce genre de chapelles ou de loges fait florès !)

     

    Finalement , on aperçoit deux aspects dans l'énumération "nitzschéenne" : d'abord , une évolution sociologique dans la bien-pensance , et ensuite une constance établie par les plus grands de tous âges ( d'Héraclite , à Molière , La Fontaine et bien d'autres ) .

    Personellement , je trouve la caractérisation de notre "bobo" branchouillé contemporain bien cernée par l'apostrophe 4 ( agitateur endimanché en costume de héros , recouvrant d'un heaume magique d'idéal , la botte de foin qui lui tient lieu de tête ) ; mais l'apostrophe 7 lui cède à peine la préséance !

     

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    Neige

    La neige qui tombait

    en frêles sortilèges

    d'ombres préfigurées ,

    de frissons de soie grège

     

    enveloppait l'espace

    de son ouate feutrée

    J'y ai glissé ma trace

    au creux de ses secrets

     

    Ses tourbillons légers

    dans l'air virevoltaient

    en souple farandole

    de guirlandes frivoles

     

    entrechats d'innocence

    à l'orée des silences ,

    psalmodies chuchotées

    de griseries frôlées

     

    Tout avait l'incidence

    des dessins piquetés

    comme au temps de l'enfance

    aux feuilles de papier

     

    Tout avait l'apparence

    des fièvres de pétales

    comme en un carnaval

    bruissant d' exubérances

     

    Féeries diagonales

    qui traversaient l'espace

    en valses qui s'enlacent

    aux temps sans s'en lasser

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