Rappelons un résultat mathématique , qu'on peut appeler pour des
raisons mnémotechniques "théorème de la rumeur" .
Largement sous-évalué , ce "théorème" dit cependant quelque chose
de fondamental :
"quand on base un raisonnement sur quelque chose qui n'existe pas,
on peut démontrer n'importe quoi" , ce qui , énoncé en termes
mathématiques , dit : "pour tout x appartenant à l'ensemble vide ,
x possède toutes les propriétés qu'on veut " .
Autrement dit , quand on élabore un raisonnement sur des bases
inconsistantes , on peut "logiquement " arriver à démontrer tout
ce que l'on veut , ce dont les différentes rumeurs qui peuvent agiter
une société à un moment donné ne se privent pas .
Ainsi un raisonnement peut avoir toutes les apparences d'une
logique parfaite et déboucher sur des résultats inconséquents ,
puisqu' établis sur des préalables inexistants .
La plupart des rumeurs correspondent à de tels artifices , qui
peuvent être non prémédités et involontaires , ou qui sont au
contraire totalement préméditées et volontairement mis en place.
La force de la rumeur vient alors du nombre de personnes qui
la propagent et la répétent .
Dans le cas d'une pure campagne de désinformation , sa "force"
est également liée au nombre de ses "récipiendaires" .
Dans de nombreux débats , on voit le processus se mettre en
place plus ou moins insidieusement , selon la "méthode" :
"répéter , amplifier , déformer" .
Dans les relais journalistiques , il est souvent essentiel que
l'information fasse un "scoop" en étant plus vraie que vraie ,
ou lave plus blanc que blanc .
La "théatrocratie"
Cette course à la rumeur la plus sensationnelle , ou qui utilise
les biais de falsification les plus authentiques , est ce que dans
une société donnée on peut qualifier de "théatrocratie" .
On cultive les "éléments de langage" plus ou moins vrais , plus
ou moins faux , cela est de peu d'importance , à condition que
l'on soit d'autant plus nombreux à les répéter avec "discipline"
et que cela fasse du spectacle .
En théatrocratie l'adage le dit : plus c'est gros plus ça passe ,
et il importe aussi de forcer le trait comme dans une bonne
caricature .
Le problème étant qu'à force de dire tout et n'importe quoi ,
le discrédit dont jouissent les "théatrocrates" ne fait que
s'amplifier jusu'au moment où un seuil est franchit et où la
théatrocratie s'écroule :
on peut dire que la théatrocratie est le dernier stade d'une
civilisation avant sa disparition : Athènes puis Rome en ont
montrés les stigmates , les premiers en se berçant d'illusions et
de propos ronflants sous les auspices des sophistes avant
la défaite et l'écroulement vers -400 avant notre ère (après
de nombreuses années de "sophistique" théâtrale) , les
deuxièmes en s'abandonnant aux délices des complots internes
et aux assassinats divers des dirigeants entre eux , jusqu' à
l'écroulement complet vers + 450 de notre ère .
L'histoire est toujours la même dans les multiples méandres de
ses répétitions : un système politique survit en appliquant des
recettes qui ont de moins en moins de rapport avec la réalité
concrète , jusqu'au moment où le théâtre prime à ce point sur
la réalité que , comme le dit Nietzsche :
"La vérité ne peut plus dès lors habiter que dans les généralités les plus
pâles , les plus délavées , dans les enveloppes vides des mots les plus
indéfinis , comme dans un château en toile d'araignée"
(Oeuvres posthumes,édition Kröner,XV,458)
On peut comprendre le dernier film de Stanley Kubrick , “Eyes wide
shut”, qui est la retranscription à l'écran de la nouvelle d'Arthur
Schnitzler publiée en 1926, dans ce sens :
quand le monde des “zélites” n'est plus qu'un monde de théâtre ,
avec ses décors et ses mises en scènes qui se suffisent à eux-mêmes ,
sans plus de rapport avec le monde réellement vécu qu'un tourbillon
de marionnettes , alors l'heure peut sembler grave .
Ce qui n'était pas nécessairement le thème d'Arthur Schnitzler
( quoique..... l'éclatement de l'Autriche Hongrie en 1918 peut se
refléter dans cette oeuvre de Schnitzler) , prend force dans celle
de Kubrick décrivant cette “théatrocratie” où le jeu des paillettes ,
des strass et la sidération des acteurs prennent le dessus sur toutes
autres considérations .
Bref , quand le discrédit de la parole publique atteint un stade où
"La vérité ne peut plus dès lors habiter que dans les généralités les
plus pâles , les plus délavées , dans les enveloppes vides des mots
les plus indéfinis , comme dans un château en toile d'araignée"
on peut penser qu'un moindre souffle de l'histoire peut faire s'écrouler
un château en toile d'araignée , ou un château de cartes , comme bon
semble , si les “dirigeants” ne reprennent pas vite les pieds sur terre ...
Mais quand on se réclame de référendums et qu'on passe les résultats
des deux derniers ( référendum constitutionnel et référendum de
Notre Dame des Landes , sans compter l'unanimité des instances
consultées pour le barrage de Sievens) , au compte des pertes et
profits , que l'avant dernier quinquenat a vu l'endettement de la
France s'envoler à des hauteurs remarquables sans qu'on en remarque
le moindre effet sur la croissance du pays , que l'actuel quinquennat
se place sous l'égide de la théatrologie (“je viens de passer
l'hémistiche de mon quinquennat” , est-il dit dans une intervention
télévisée , entre de multiples autres anecdotes ) , on peut se dire
qu'on n'en prend pas le chemin ....
"La vérité ne peut plus dès lors habiter que dans les généralités les
plus pâles , les plus délavées , dans les enveloppes vides des mots
les plus indéfinis , comme dans un château en toile d'araignée"
(Nietzsche , Oeuvres posthumes,édition Kröner,XV,458)