Les notions d'équilibre et d'harmonie des contraires ont déjà été
abordées , notamment dans les articles des 2/06 et 23/07 . Dans les
domaines des sciences , le sujet a été brièvement évoqué dans
l'article du 02/08 ; détaillons le un peu plus ici .
Le titre de Woody Allen : "Whatever works" , "pourvu que ça marche",
peut servir de guide dans cet article . Il convient en effet de rappeler
que l'objectif des sciences est de fournir des modèles prédictifs des
"réalités", et que ces modèles sont d'autant plus appréciés que leurs
prédictions sont efficaces , que cela "marche bien" : Whatever works .
Il convient aussi de rappeler le propos de Niels Bohr :
"Le contraire d'une vérité banale est une erreur ; le contraire d'une
vérité profonde est une autre vérité profonde " .
Rappelons que les modèles scientifiques sont bâtis sur des hypothèses
et que ces hypothèses sont d'autant plus crédibles dans les domaines de
la physique , par exemple , qu'ils conduisent à des conclusions
"efficaces" .
Il convient aussi de réaliser qu'on ne "vérifie" pas à posteriori une
hypothèse , mais qu'on vérifie seulement la qualité prédictive d'une
hypothèse , rappel qui peut éviter certains malentendus .
Prenons les exemples des modèles astronomiques :
Le premier modèle cohérent est celui de Ptolémée , mis au point vers
les années 150 de notre ère , qui récapitulait un très grands nombres
d'observations faites depuis des centaines d'années par d'autres
astronomes (dont les babyloniens) , dans un cadre unificateur .
Le domaine d'application de ce modèle , basée sur des hypothèses
aujourd'hui obsolètes , a duré jusqu'aux portes de la Renaissance ,
soit prés d'un millénaire et demi . Ce modèle , basée sur les données
astronomiques de l'époque de sa création , ne pouvait qu'être cohérent
avec ces données , et effectivement , il donnait des prédictions très
précises , et encore assez précises pour des premières approximations
de nos jours . Le problème est que ce modèle se fonde sur des
hypothèses totalement dépassées de nos jours , mais que l'évidence de
ses qualités prédictives ne peut être mise en cause , puisque justement
établi pour coïncider avec les données d'observation de l'époque : le
modèle "cadre" bien avec ces données d'observation , qui étaient d'un
ordre de précision assez remarquable .
Le modèle qui l'a remplacé est celui de Newton , basé en partie sur la
fameuse expérience de la "pomme de Newton" , et qui établit qu'entre
deux corps astronomiques se produit une force attractive du type
f = constante . M M'/r.r , où M et M' sont les masses des deux corps et
r leur distance réciproque .
Ce modèle , comme celui de Ptolémée , a été établi pour coïncider
avec les données astronomiques du moment , et en particulier avec
les données obtenues par Galilée , Copernic , Ticho Brahé et Kepler .
Le problème de cette théorie est qu'elle est fondée sur l' hypothèse
que la force attractive que se transmet entre deux corps , se transmet...
.... à travers le vide . Comment cela peut-il se faire concrètement ? ...
"Hypothesis non fingo" , dira Newton , je n'ai pas trouvé d'explication
à cela , mais le modèle en tant que tel "marche " , Whatever works .
Une force qui tire deux corps non reliés l'un à l'autre , à travers du
vide , cela paraît surprenant à priori , mais comme on n'avait pas
mieux et que le modèle "marchait" , ses qualités prédictives ont
valu acceptation de ses hypothèses .
Cette théorie a duré jusqu'en 1900 environ , et ses qualités
prédictives sont toujours très appréciées en première approximation.
Le modèle suivant est celui d' Einstein , qui résout le "mystère" de
l'attraction entre deux corps indépendants à travers le vide .
Il résoud aussi le "mystère" de données astronomiques nouvelles , que
n'expliquaient pas le modèle de Newton , en particulier le mouvement
un peu surprenant de Mercure .
Le modèle d'Einstein déborde aussi des données scientifiques connues
en 1900 , et prédit aussi la courbure des rayons lumineux sous
l'influence d'un corps céleste , ce qui est pour le moins "mystérieux" ,
puisqu' un photon lumineux n'a pas de masse et qu'il est ainsi
théoriquement "inattractif" .
Les qualités prédictives du modèle einsténien sont telles que les
hypothèses sur lesquelles il est fondé leur ont valu acceptation .
Mais il faut reconnaître que Einstein a remplacé un mystère d'une
attraction qui se produit à travers le vide , par un autre mystère , celui
d'un espace à 4 dimensions , dit espace-temps , où les masses
reposant en son sein "déforment" sa texture comme une bille roulant sur
une toile , et que le temps dans cet espace ne se déroule pas de la même
façon partout ....Mais pour le moment , "ça marche" , Whatever works ,
où du moins à peu près , puisqu'en opposition sur un certain nombre de
points avec la théorie quantique .
Dans les domaines mathématiques , on a développé dans l'article du
02/08 les exemples des géométries euclidienne , riemannienne , et de
Lobatevski ou Poincaré , établissant qu'en modifiant seulement un
axiome pour le moins arbitraire (le 5ème axiome d'Euclide) , on
aboutissait à des conclusions opposées : des "vérités contraires"
peuvent ainsi apparaître suivant l'hypothèse initiale choisie , étant
entendu que dans le cas du 5ème postulat d'Euclide , on n'est pas plus
fondé intrinsèquement à choisir ce postulat plutôt qu'un autre .
Dans l'article du 8 Février , on rappelait que Gödel avait établi que dans
une théorie mathématique suffisant vaste pour contenir l'arithmétique ,
il existait trois sortes de propositions : les propositions vraies dans le
cadre de la théorie , les propositions fausses , et des propositions
indémontrables dans la théorie , vraies ou fausses ou ni vraies ni fausses
intrinsèquement .... Ainsi , un certain nombre de propositions sont
inabordables dans le cadre d'un raisonnement rationnel donné , et des
"vérités" , d'apparence "contraires" , peuvent très bien coexister au
sein d'une théorie rigoureuse .
Rappelons également le deuxième principe de la thermodynamique ,
qui établit que pour qu'un phénomène ait lieu , il y a besoin que deux
potentiels "contraires" interviennent simultanément : un vent souffle
par exemple entre une haute et une basse pression , un moteur , un
réfrigérateur ont besoin pour fonctionner de deux sources de chaleur
distinctes , etc ..... Rien ne se crée qu'entre deux pôles "contraires" .
Cela nous ramène à un certain nombre d'observations :
Dans les théories astronomiques , on a remplacé , au fil des
évolutions des sciences , des "mystères" devenus totalement irréalistes
par d'autres mystères , les hypothèses alors prises en compte ne devant
leurs existences qu'à la qualité de leurs prévisions : ainsi en va-t-il par
exemple de la qualité des prévisions de nos GPS , impossibles à
formuler dans le cadre de la théorie de Newton .
Mais dans les théories de la relativité d'Einstein , se posent toujours des
questions "mystérieuses" , comme la possibilité de voyages dans le
temps , par exemple .
Entre les théories de la relativité et les théories quantiques , il
y a toujours des oppositions irréductibles , et on attend encore une
théorie qui unifierait ces deux théories au sein d' une même théorie
plus générale .
Mais il se peut très bien que selon les perspectives du théorème de
Gödel , la théorisation de l'univers au sein d'une même théorie
rationnelle où toute les propriétés du monde seraient démontrables ,
soit tout simplement une vue de l'esprit , irréalisable .
Par ailleurs , toute tentative de réduire le monde à un jeu d'hypothèses
butterait inéluctablement sur l'hypothèse qu'il y a une forme de
conscience dans l'univers .... et nous sommes une vivante preuve
qu'il y a une forme de conscience dans cet univers : la conscience
et la rationalité dont nous sommes le témoignage sont en quelque
sorte l'empêchement de réduire le monde à une théorie rationnelle
ultime ... La conscience et la rationalité ne sont pas réductibles à
une rationalité entière ... comme un individu n'est pas réductible
à des équations ....
Dans la perspective du deuxième principe de la
thermodynamique , il apparaît que toute évolution ne peut se faire
qu'entre deux sources "opposées" , ce qui nous rend un peu plus
abordable l'idée qu'il y a dans l'univers un certain équilibre , sinon
une harmonie , entre des phénomènes contraires , comme tend à
l'illustrer le fonctionnement de tout écosystème .
Il y aurait ainsi un équilibre général et un partage de l'espace
d'existence entre des forces "contraires" , entre des théories ou
des "vérités" contraires ( ces "vérités" , sans véritable réalité
intrinsèque , n'étant que des vérités prédictives fondées sur des
jeux d'hypothèses aux significations parfois très "mystérieuses:
mais "whatever works" , pourvu que sa marche , telle est leur
véritable ambition) .
Ceci sans oublier que toute forme d'équilibre est souvent d'une
extrême fragilité ... et que la théorie des catastrophes de René Thom ,
médaille Fields de mathématiques , a établi une "typologie" de ces
ruptures d'équilibre et des discontinuités qui les accompagnent ....