Dans l'article précédent , on évoquait la distinction entre un objet pouvant
présenter un caractère infini et une mesure de cet objet pouvant présenter
un caractère fini , ainsi que les risques et les paradoxes intervenant à
utiliser abusivement la notion d'infini .
Poursuivons un peu l'examen de ces rapports et des interprétations ambigus
qui peuvent intervenir entre le fini et l'infini :
la vitesse de la lumière est finie ( aux alentours de 300 000 km/ s ) , mais
aucune particule ayant une masse ne peut l'atteindre , il y faudrait pour cela
une énergie infinie … d'où une nouvelle ambivalence entre le fini et
l'infini : une vitesse finie nécessitant une énergie infinie .
Il s'ensuit qu'on est amené à poser que le photon , ce ''grain'' de lumière ,
a une masse nulle : on est donc en présence d'une entité , dite corpusculaire,
à la fois matérielle , et immatérielle puisque de masse nulle .
La difficulté à appréhender la notion de lumière ne s'arrête pas là , puisque
suivant les expériences auxquelles on peut la soumettre , la lumière
présente soit des aspects de particules ( ''grains'' ou photons) , soit des
aspects d' une onde .
La prudence requiert donc de ne pas confondre trop vite ce que l'on mesure
et ce qui est , et de se contenter de dire que la lumière est une ''entité'' qui
peut présenter des aspects ondulatoires , des aspects de corpuscules à la
fois matériels et de masse nulle (immatériels) , à la fois douée d'énergie
(puisque c'est la lumière du soleil qui nous éclaire ) et sans énergie (puisque
de masse nulle : Energie = masse x carré de la vitesse de la lumière) , ….
On mesure ainsi des choses qui ne sont pas toujours ''raisonnablement''
compatibles , mais qui pour autant existent ''réellement'' , dans un réel que
nous avons parfois du mal à percevoir ''globalement'' , dans son ensemble.
Rien ne peut-il réellement dépasser la vitesse de la lumière ? ….
Ce n'est pas ce que dit la théorie : la théorie le dit de tout objet matériel .
Mais une entité ''immatérielle'' ?
Prenez par exemple une paire de ciseaux de longueur ''un kilomètre'' ,
refermez les branches des ciseaux en un centième de seconde , et vous
aurez au point de rencontre des branches des ciseaux un point ''immatériel''
se déplaçant à 100 km/ s ; prolongez les branches des ciseaux d'une
longueur appropriée mais finie , et vous aurez un point ''immatériel'' qui
dépassera la vitesse de la lumière , le tout avec des manipulations
théoriques se faisant avec des éléments finis allant bien moins vite que la
vitesse c de la lumière …
Prenez également un objet et une lampe de poche , et intéressez-vous à
l'ombre de l'objet ( un mur de 1 mètre de haut par exemple ) que vous
pouvez faire avec votre lampe de poche :
en vous plaçant à une ''certaine''distance de l'objet et en déplaçant votre
lampe verticalement , il arrivera un moment (quand votre lampe va se
trouver à près d' un mètre du sol) où l'ombre de l'objet va s'étirer à une
vitesse qui va dépasser celle de la lumière ….. Si votre lampe de poche n'y
suffit pas , refaite la même expérience en la remplaçant par le soleil et en
gardant toujours votre mur …. L'ombre peut aller plus vite que la lumière
Le zéro absolu des températures donne un autre exemple faisant intervenir
simultanément des notions de fini et d'infini : en effet , pratiquement ,
si vous voulez disposer d'un réfrigérateur pouvant amener vos provisions
vers le zéro absolu des températures , il y faudra consacrer une énergie
infinie : le zéro intervenant ici est ''fini'' mais inatteignable , nécessitant
des quantités ''infinies'' pour y arriver ...
Un des aspects des problèmes intervenant ici est de réaliser comment on
peut faire du discontinu avec du continu : comment créer des ruptures
brutales dans des phénomènes évoluant de façon régulière , continue ?
Prenez toujours l'exemple du mur de 1 m de haut et étendez - vous
derrière le mur un jour de soleil , du côté Est . Tant que vous n'êtes pas à
l'ombre , vous voyez le soleil , et puis subitement à un instant t donné ,
vous ne voyez plus le soleil qui a ''glissé'' derrière le mur .
Vous répondez par oui ou par non : vous voyez le soleil , vous répondez
1, vous ne le voyez plus , vous répondez 0 : il y a là un phénomène
soudain à l'instant t où le soleil disparaît qui fait passer de la valeur 1 à
la valeur 0 , et qui traduit instantanément une évolution infiniment
rapide .
Dans la représentation qui est la votre , il y a un phénomène discontinu
qui vient de se produire , avec une vitesse d'évolution ''infinie'' .
Il n'y a là qu'une question de méthode de représentation du phénomène
du coucher du soleil , méthode qui ''crée'' du discontinu à partir de
phénomènes continus et des vitesses d'évolution qui peuvent sembler
infiniment rapides . … donc prudence quand on interprète des
phénomènes faisant intervenir des mesures infinies .
Un autre aspect des problèmes qui se produisent avec des infinis peut
être lié à la notion ''d'asymptote'' : au bout d'un nombre indéfini d'étapes
vers quel comportement tend un certain processus ?
Par exemple , dans un processus donné , à chaque étape , on rajoute 1 à
la valeur observée au début de l'étape puis on divise le tout par 2 ; vers
quoi tend l'évolution du processus au bout d'un nombre indéfini
d'étapes , quand au début du processus on part de R(0) ?
Un calcul assez simple montre que , lorsque le nombre d'étapes tend vers
l'infini , le résultat tend vers 1 : on dit alors que le processus admet pour
limite 1 , ou qu'il tend asymptotiquement vers 1 .
Il y a là encore une imbrication de fini et d'infini , dont il faut prendre
garde à ne pas interpréter abusivement la relation .