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Ne pas "ratiomorphiser" le monde

Ce terme  "ratiomorphiser" fait écho au concept "d'anthropomorphisation",
pour décrire une habitude , un "archétype" voisin , celui de réduire
les interprétations du monde aux grilles d'analyse de sa propre discipline,
de sa propre chapelle .
Cette "manie" , voire "marotte" , est bien du ressort de ce que Jung
a pu appeler "archétype" , tant elle foisonne dans n'importe  quel
discours :
naturellement "traduire" un système de pensée dans un autre système de
pensées est nécessaire , et cette "traduction" ne rentre pas dans le cadre
de cette "ratiomorphisation" ; mais au-delà de cet impératif qui recommande
de traduire pour pouvoir approcher  la signification du propos de son
interlocuteur , il y a aussi la volonté claire ou inconsciente de déborder
de ce cadre pour "enfermer" le propos de l'interlocuteur dans ce qui est
compatible avec ses propres dogmes , d'assigner le propos entendu à une
"sous-rubrique" de ses propres théories , naturellement beaucoup plus
"amples" et proches de la "Vérité" .
Citons Montaigne :
III , 13 , 312 "Il y a plus affaire à interpréter les interprétations qu'à
interpréter les choses et plus de livres sur les livres que sur tout autre
sujet : nous ne faisons que nous entregloser" .
II , 12 , 215  "J'appelle raison cette apparence du discours que chacun forge
en soi ; cette raison , de la condition de laquelle il peut y en avoir cent
contraires autour du même sujet , c'est un instrument de plomb et de cire ,
allongeable ployable et accomodable à tout biais et à toute mesure" .

 

Cet "art" de projeter ses propres concepts comme un filet dans la mer
pour ramener les concepts d'autrui comme des sous-produits de sa technique
d'analyse et d'investigation , est si général qu'il réduit la plupart du
temps une discussion à des tentatives d'enfermement des uns dans les autres
et "réciproquement" : rhétorique souvent creuse des "marottes" d'une
époque à codifier des dogmes d'autant plus rigides que très souvent
parfaitement arbitraires .
L'objectif premier étant de "marquer son territoire" par ces dogmes , de
sorte de faciliter une conquête de pouvoir au nom de ces "saints principes"
par le groupe qui en est dépositaire .
Il en est ainsi des "discussions obligatoires" auxquelles "on ne saurait
échapper" , du "sexe des anges" ou autres rubriques tout aussi fondamentales
que la controverse de Valladolid pour savoir si les indiens avaient une âme
(de façon dans le cas contraire à pouvoir les "sous-mettre" ou les
"sous-maîtres" d'autant plus aisément , s'il avait du arriver de façon 

"malencontreuse" qu'ils  n' eussent pas d'âme ...) .

 

Cette procédure d'impérialisme "culturel" et de marquage de territoire est
bien un archétype du comportement social , qui fait sourire quand il
s'applique à d'autres époques , et dont le sourire s'oublie vertueusement
quand il s'applique à notre temps présent .

 

D'ailleurs dans notre temps présent , ce phénomène devient si perceptible
qu'il aboutit en France en particulier à une crise de confiance généralisée
et à des phases de conflits chroniques entre les "zélites" et le "peuple",
et qu'il obscurcit complètement l'objet de la discussion ; sans oublier les
maladresses éventuelles des "zélites" récitant leurs propos technocratiques
à travers les prismes de leurs "apprentis-sages" ...
Ou encore la volontaire "complexification" d'un système de propositions
initialement simple pour mieux faire comprendre au "peuple" qu'il n'y
comprend rien ...
Mais par rapport à l'époque de Montaigne , cette crise de confiance
contemporaine entre deux phalanges données apparaît  bien modeste en
comparaison de  ces guerres de "religions" qui ont ensanglanté l'Europe
pendant près de cinquante ans ...    

 

Le remède proposé par Montaigne à ce genre de situation est d'arrêter de
"ratiomorphiser" le monde (si tant est que cette ratiomorphisation ne soit
pas le voile pudique jeté sur une bataille de pouvoir , auquel cas le remède
ne serait qu'un emplâtre sur une jambe de bois) .
Car il faut aussi réaliser que lorsqu'une société est à ce point lancée
dans un vertige de phraséologies "verbologiques" ou son contraire , la
roche tarpéienne n'est jamais très éloignée du Capitole , comme diraient
les romains ...
Et le retour dans l'argumentation politicienne de cette verbologie des

sophistes grecs n'a pas toujours auguré de lendemains ensoleillés ...:

à preuve la situation même des inventeurs de cette sophistique , qui ont

précipité Athènes en une trentaine d'années de la grandeur de la période

de Périclès àla ruine dans les années- 400 avant notre ère ...


Arrêter le vertige des guerres de pouvoir qui finissent par faire régner
le vainqueur sur des ruines , et arrêter cette propension à ramener les
arguments de l'interlocuteur à des sous-produits de ses propres et si
"merveilleux" raisonnements , voilà finalement ce que n'a cessé de proposer
Montaigne pour revitaliser une vie sociale en déperdition .

 

Mais par delà ces péripéties , il y a une nécessité d'arrêter de
"ratiomorphiser" le monde : peut être tout simplement que le monde , comme
il n'est pas réductible à des tentatives d'anthropomorphisation , n'est pas
aussi réductible aux pensées "géniales" de quelques Pic de la Mirandole
des années 2020 , qui récitent leurs catéchismes comme tant d'autres avant
eux .

 

S'empreindre de simplicité ,"Que sais-je" dirait Montaigne , refuser  d'ériger
ses pensées en un "système" prétendument philosophique , et assurément
dogmatique , comme Socrate ou Lao Tseu bien avant s'en sont écartés :
"Je ne cherche aux livres qu'à m'y donner du plaisir par un honnête amusement"
(Montaigne , Les Essais , II , 10 , 36)
"Je dis librement mon avis de toutes choses .....Ce que j'en opine , c'est
aussi pour déclarer la mesure de ma vue , non la mesure des choses "
(II , 10 , 37)
"Les livres m'ont servi non tant d'instruction que d'exercitation"
(III , 12 ,280) .
"L'écrivaillerie semble être quelque symptôme d'un siècle débordé : quand
écrivimes-nous tant que depuis que nous sommes en trouble ? Quand les

romains tant , que lors de leur ruine ?" (III , 9 , 179) ( et les athéniens ..!)
Et comme il faut souvent en revenir aux sciences pour démythifier les
pseudos raisonnements :
"Dans une système contradictoire , on peut démontrer tout ce que l'on veut"
dit un énoncé de logique élémentaire ...
"Dans un système suffisamment cohérent , il y a des propositions
indémontrables" (théorème de Gödel) ...
"Dans un systéme chaotique , une moindre poussière peut faire dérailler un
train" ....
Aussi , qu'il y -t-il de mieux à faire ,aux yeux de nos sophistes contemporains
que de rendre un système de plus en plus complexe pour cacher ses aspects
contradictoires , dans un double but  : démontrer n'importe quoi , et faire
comprendre au "peuple" qu'il n'y comprend rien ?


C'est un peu court , jeunes hommes , dirait Cyrano ...et les écoles de la
parlerie ne servent qu'à s'entregloser , comme dirait Montaigne .
En bref , enfermer les discours sur le monde dans des systèmes et des dogmes
qui n'ont souvent de "rationnel" que le nom et d'arbitraire que la plus
grande partie , est d'une méthode manoeuvrière sur la forme , et sur le fond
un pari pour le moins osé : le monde serait-il réductible à nos assertions
du moment ?
La modestie est un "paramètre" nécessaire pour activer la confiance ...

 

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A fleur d'affleurement

Sur le vif , dans l'instant
toujours à fleur de regard
des chants du monde et de leurs rondes                  
et de leurs sursauts turbulents

 

Toujours à fleur de conscience
d'inclinations et d'unissons ,
toujours à fleur de l'innocence
hors des couplets préfabriqués

 

Toujours à fleur du temps présent ,
à son écoute , attentionné ,

épris des vertiges du vent
dans les grondements des forêts

 

Dans la neige et dans ses éclats
de rires radieux , cristallins ,
et sur les claviers argentins
des miroitements des rivières

 

Toujours lucioles dans les soirs
qui vont butiner les espaces
où s'en vont flâner les étoiles
dans leur quête d'illimité

 

Toujours à fleur de ces printemps
qui fleurent bon dans les  lilas ,
et dans l'au-delà des écrans
des hologrammes d'agora

 

Toujours à la pointe du jour
à écrire sur les pages vierges
de l'aube en ses pointillés blancs
les frémissements des matins

 

Toujours au-delà des écrans                       
des hologrammes d'agora            
toujours sur le vif de l'instant
aux frémissements des matins

 

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Le Kairos chez les grecs : le point idéal où se concrétise une immanence

Ce Kairos chez les grecs anciens représente un peu un point sur

la crête d'une montagne d'où l'on aperçoit le panorama ouvert .

Après les efforts et le tumulte de la montée , c'est ce point

d'équilibre où se manifeste l'immensité révélée .

C'est le point juste , essentiel , approprié , le geste décisif qui

concrétise l'opportunité du moment , voire un point qui peut être

critique, crucial et même dangereux :

sur la crête de la montagne , un mauvais pas peut engager des

conséquences très compliquées ...

En anglais , on a des mots approchant une partie du sens ,avec

"timing" et "timely" : ce qui est dans le rythme des évènements,

ce qui est en phase avec la réalité du moment , ce qui concrétise

son potentiel .

En français , l'idée de maturité , ou d'immanence , apportent aussi

des compléments de sens à ce concept : agir trop tôt , on est dans

le pré-maturé ; trop tard , et le "bon moment" est passé .

Tout est dans le sens de la mesure qui fait choisir le moment

opportun , à la dose appropriée , pour intervenir .

La conscience grecque a toujours eu ce sentiment que l'ordre de

monde est quelque chose de fragile , et qu'un "rien" peut suffire

à le déséquilibrer et entraîner des modifications profondes : trop

tôt ou trop tard , à une dose inappropriée , ce peut être une

avalanche soudaine aux effets dévastateurs . Pour ces grecs , la

frontière séparant une victoire d'une défaite est souvent

impalpable , mais les effets sont bien tangibles : à l'équilibre ,

qu'est ce qui fait pencher le plateau de la balance dans un sens

plutôt que dans un autre ?

Comme pour les romains où le Capitole n'est jamais très éloigné

de la roche tarpéienne , un rien suffit à faire basculer le sens

de l'histoire ou de l'historiette : drames ou honneurs ? Victoire

ou catastrophe pour César franchissant la frontière interdite du

Rubicon ? Qu'est ce qui à la bataille de Gaugamèles où vingt

à trente mille grecs font face à des centaines de milliers de perses,

dans une bataille cent fois perdue , décide de la victoire

d'Alexandre ?

Et aussi , que faut-il faire avec le noeud gordien auquel Alexandre

doit faire face , impossible à dénouer ? S'il le dénoue , l'oracle lui

assure qu'il conquerra l'Asie centrale , mais il est impossible à

dénouer ...

Alors , Alexandre le tranche avec son épée , il crée le geste

décisif qui l'amène dans un nouvel ordre des choses .

Il y a une certaine magie dans ce que nous appelons de nos jours

le "chaos déterministe" , où un élément qui nous semble

impondérable peut faire bifurquer définitivement une évolution ,

où on a pu modéliser des milliers de fois ces situations où des

phénomènes qui ne répondent pas au principe de proportionnalité

et de linéarité , se déclenchent et font basculer une situation dans

un autre ordre de réalité .

Mais pour ces grecs , le chaos déterministe qui sera mis en

évidence bien plus tard dans les équations mathématiques , ce

chaos n'existe pas , et ils lui substituent le terme de "Kairos" :

la touche impalpable , "ce je-ne -sais-quoi" et ""ce presque-rien"

dira Jankélévitch , qui est décisif .

« La lueur timide et fugitive, l’instant-éclair, le silence, les signes

évasifs – c’est sous cette forme que choisissent de se faire

connaître les choses les plus importantes de la vie. Il n’est pas

facile de surprendre la lueur infiniment douteuse, ni d’en

comprendre le sens. Cette lueur est la lumière clignotante de

l’entrevision dans laquelle le méconnu soudainement se reconnaît.

Plus impalpable que le dernier soupir de Mélisande, la lueur

mystérieuse ressemble à un souffle léger... » (Jankélévitch)

 

 

A l'échelle de l'histoire des idées ou des sciences , il y aussi ces

moments "miraculeux" où se concrétise ce qui était en latence

depuis des décennies ou des siècles et qui soudain se réalise

dans la simplicité d'une éclosion : le moment opportun est

arrivé , les phénomènes qui étaient pressentis dans une grande

confusion soudain se perçoivent dans toute leur limpidité , une

maturité est arrivée , les idées dissoutes dans l'air du temps

viennent à précipiter dans une évidence spontanée .

C'est ainsi Héraclite , Bouddha et Lao Tseu , pratiquement

contemporains , et qui sans rapport les uns avec les autres aux

alentours du VIème siècle avant notre ère , concrétisent , à travers

les milliers de kilomètres qui les séparent , la traduction d'un

propos simple : la multitude des dieux et des héros qui parsèment

les panthéons divers ne sont qu'une apparence , il y a une essence

subtile qui anime le monde par delà la diversité des phénomènes

Cette essence est au-delà de nos capacités mentales à la formuler ,

on ne l'aborde qu'en lui ouvrant notre esprit et en s'en laissant

imprégner à travers les flots des écrans qui obstruent nos

perceptions et que nous devons laisser s'apaiser pour que cette

essence puisse se "dévoiler" .

Dans un domaine scientifique , c'est Claude Ptolémée , qui au-delà

des balbutiements de ses prédécesseurs , propose un premier

système unifié du mouvements des planètes et des étoiles vers les

années 150 de notre ère : ce système , qui nous semble aujourd'hui

être une usine à gaz , aura tout de même le privilège de conduire

les calculs des astronomes pendant près de 14 siècles jusqu'à la

Renaissance , avec une précision des prévisions assez remarquables

Par delà la complication de sa machinerie , répétons que la précision

des prévisions que son système permet de réaliser quant-aux

déplacements des astres est remarquable pour l'époque .

 

 

Dans la bouche de Zarathoustra et de Nietzsche , le "je ne sais

quoi" et le "presque rien" évoqués par Jankélévitch deviennent :

"il faut encore avoir en soi beaucoup de chaos pour pouvoir

mettre au monde une étoile qui danse" (ainsi parlait Zarathoustra)

C'est cette même idée du moment opportun , de l'arrivée à

maturité exprimés dans le Kairos , qui se réalisent on ne sait

comment mais qui se réalisent pour devenir une étoile qui danse

Intervenant en ce moment opportun , cette touche de "génie" (au

sens étymologique : de ce qui se crée ) remet en musique une

partition disparate pour faire apparaître la mélodie .

Réalisée à contre-temps , cette même touche rajoute du chaos

au chaos , de la confusion à la confusion , de l'incompréhensible

à l'incompréhensible .

Reprenons l'examen d'un modèle scientifique :

à la Renaissance , près de 1400 ans après sa création , le modèle

de Ptolémée prend l'eau de toutes parts : Galilée établit que le

soleil ne tourne plus autour de la Terre mais que c'est la Terre

qui tourne autour du soleil , Kepler établit que le même mouvement

de la Terre est une ellipse et que le cercle n'a plus sa position de

perfection prédominante , termes qui sont tous des constats ruinant

les bases du système de Ptolémée .

Mais ces éléments restent des constats qui se juxtaposent sans créer

de théorie unifiante qui puissent remplacer complètement le système

de Ptolémée .

On reste ainsi dans ce temps suspendu pendant près de deux

siècles encore , puis arrive un individu qui synthétise les

différentes données et met un ordre dans ce chaos : c'est Newton

avec sa formule "magique" déduite de la chute d'une pomme ,

écrite F = constante xMxM'/R^2 , et qui réussit à mettre tout le

monde d'accord . Mais lui objectera-t-on , comment cette force

F peut-elle se transmettre dans le vide , sans aucun support ?

Elle est belle et bonne et explique tout , si ce n'est qu'on n'a pas

d'explication sur la matérialité de cette formule elle-même ...

Newton y répondra par "hypotheses non fingo" , "je n'ai pas trouvé

d'hypothèses à cela" , mais cela marche , et unifie tous les termes

des connaissances chaotiques emmagasinés jusque là .

"Whatever works" , pourvu que ça marche ! , dira Woody Allen ...

Les notes disparates qui se superposaient dans un bruit

désordonné , soudain se retrouvent mises en musique et

expriment une nouvelle harmonie : le moment de maturité

était arrivé pour qu'un esprit puisse synthétiser un nouvel opéra

grâce à la baguette magique de sa formule .

Il faudra encore quelques deux siècles et demi de plus pour que

d'autres formules "magiques" , dont la célèbre E = mc^2 ,

puissent faire bifurquer la théorie dans un autre ordre de réalité ,

qu'elles réorganisent les éléments disparates subsistant dans la

théorie de Newton .

 

 

Donnons la conclusion à Descartes , dont le scepticisme modéré

n'a pas toujours été pris en compte à sa juste mesure :

"prenons par exemple un triangle , chose apparemment très simple et

que nous pouvons apparemment égaler très facilement ; nous sommes

néanmoins incapable de l'égaler .

En effet , à supposer même que nous en démontrions tous les attributs

que nous pouvons concevoir , il viendra peut-être dans mille ans un

mathématicien qui y découvrira davantage de propriétés, si bien que

nous ne sommes jamais certains d'avoir compris tout ce qu'il était

possible de comprendre en cette chose .

Et l'on peut faire la même remarque à propos de toutes les autres

choses " (Entretien avec Burman , texte 8 , Puf ) .........

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Héraclite et LaoTseu : cesser d'anthropomorphiser les cieux .

Une première idée forte développée par Héraclite et LaoTseu est la
notion de complémentarité des contraires , débouchant sur un état
d'équilibre ente ces oppositions : nous avons évoqué cette situation
dans la précédent article
Une deuxième idée forte commune à ces deux auteurs est cette
nécessité de ne pas anthropomorphiser les cieux , d'arrêter d'y
projeter nos fantasmes , nos obsessions , nos raisons raisonnantes ,
nos manies , tout ce qui modélise les cieux sur nos propres concepts
de vie , d'arrêter d'y projeter nos aspirations et nos comportements,
nos jugements .
S'il est vrai que nos jugements nous jugent , que nos comportements
nous comportent , nos aspirations nous aspirent , alors nous avons
dans les projections que nous faisons sur les cieux d'amples sources
d'analyses de nos mondes mentaux , qu'aucun éthologue ne saurait
renier.
Pour Héraclite , l'appréciation est nette :
aphorisme No 70 : " Les opinions humaines ne sont que des jeux
d'enfants"
No 5 "...ils font des prières aux statues qu'ils possèdent , comme si
on faisait la conversation avec un mur - sans rien connaître de ce que
peut être un dieu ou un héros ."

LaoTseu intervient en disant :
No 2 : Tout le monde tient le beau pour beau , c'est en cela que
réside sa laideur . Tout le monde tient le bien pour le bien , c'est
en cela que réside son mal"
C'est à dire que ce n'est pas en projetant nos codes dans les cieux
que ces codes ont une valeur en soi , c'est même le contraire , ce
n'est qu'un catéchisme dans toute sa rigidité et sa sécheresse .
No 38 : "La vertu suprême est sans vertu , c'est pourquoi elle est
la vertu. La vertu inférieure ne s'écarte pas des vertus , c'est
pourquoi elle n'est pas vertu "
LaoTseu et Héraclite nous tiennent en quelque sorte le célèbre propos
qu'il est plus difficile à un croyant de gagner un paradis quelconque
en récitant son catéchisme , qu'à un chameau de passer par le trou
d'une aiguille .

 

Projeter son "savoir" et sa "science" dans les cieux conduit aussi
bien à la même impasse . Citons Héraclite :
No 47 : " Sur les plus grandes choses ne faisons pas de conjecture
à la légère "
No 40 : "Une grande érudition n'enseigne pas l'intelligence .
Sinon , elle l'aurait donnée à Pythagore et Hésiode ..."
Même prudence , avec peut être moins de véhémence chez LaoTseu :
No 81 : "..L'intelligence n'est pas l'érudition , l'érudition
n'est pas l'intelligence "
No 71 :" Connaître , c'est ne pas connaître , voilà l'excellence.
Ne pas connaître , c'est connaître , voilà l'erreur .
Qui prend conscience de son erreur ne commet plus d'erreur .."
Toujours la même mise en garde chez les deux : projeter dans les
cieux le catéchisme de son "savoir" et de sa "science" n'amène
à rien , "si haut qu'on soit assis , on n'est assis que sur son
cul" dira Montaigne , dont la philosophie dans ces domaines est
semblable : "Quelle vérité que ces montagnes bornent , qui est
mensonge au monde qui se tient au-delà ?"
Devant l'inconstance de nos prétentions ,Montaigne écrit comme
en conclusion ; "J'aimerais mieux qu'il ait une tête bien faite
que bien pleine" .

En définitive , le monde est bien au-delà de nos considérations et
de nos prétentions mentales :
Héraclite No 32 : " L'Un qui seul est sagesse ,souffre et ne souffre
pas d'être appelé du nom de Zeus "
No 45 : " Tu ne saurais atteindre les limites de l'âme , aussi loin
que tu ailles , tant est profond l'esprit qui l'habite "
No 67 : " Dieu est jour et nuit , hiver et été , guerre et paix ,
satiété et famine . Il se transforme comme le feu qui , mêlé
d'aromates , est nommé selon le parfum de chacun ."
C'est aussi ce que disent Socrate ou Montaigne : il faut savoir
faire taire les prétentions mentales affirme Socrate , qui passe à
la moulinette tous les dogmes et les credos , et ouvrir sa conscience
à cet au-delà qui dépasse le raisonnement mental , ce jeu des
classifications , du rangement en catégories .
Il faut s'ouvrir au Logos , à l'esprit, dit Héraclite , au daimon dit
Socrate .
Pour LaoTseu la situation est très semblable :
No 35 : " La musique et la bonne chère attire les passants , mais
tout ce qaui émane du Tao est monotone et sans saveur . On regarde le
Tao mais cela ne suffit pas pour le voir . On l'écoute , cela ne
suffit pas pour l'entendre ..."
No 45 : " La perfection suprême semble imparfaite , mais son action
n'a pas de fin . La plénitude suprême semble vide , mais son action
est inépuisable ... Pureté et quiétude sont la norme du monde "
No 2 : " L'être et le néant s'engendrent , le facile et le difficile
se parfont , le long et le court , le haut et le bas se définissent
l'un par l'autre ..."
Et finalement , l'attitude du sage est toujours la même :
No 26 : " Le pesant est la racine du léger , le calme est maître de
l'agitation . Aussi le sage voyage tout le jour sans quitter son
pesant fourgon...qui s'agite perd la maîtrise de soi "
No 47 : " Sans franchir sa porte , on connaît l'univers . Sans
regarder par la fenêtre , on aperçoit la voie du ciel ... le sage
connaît sans voyager , comprend sans regarder , accomplit sans
s'agiter "
A condition , tout en étant dans le "pesant fourgon" de Lao Tseu , de
savoir ouvrir sa conscience au léger , au dépassement de
l'immédiateté mentale , de ce jeu systématique de coller des
étiquettes à tout ce que nous voyons , de cet esprit qui croit
toujours utile d'enfermer le monde dans des catégories , de savoir
dépasser nos propres dogmes et credos ..... ce qui fait tout de même
beaucoup de choses ...  
Comme le diront les Sceptiques , il faut savoir suspendre le
jugement ; il faut savoir arrêter la moulinette mentale qui a
toujours quelque chose à penser et fait obstacle à l'ouverture de
l'esprit à cet au-delà ... Il faut savoir "désanthrpomorphiser" la
perception du monde , apprendre à dépasser nos récits et nos
récitations , nos lunettes de convention qui nous font voir le monde
comme nous voulons qu'il soit...
Reprenons en conclusion ces propos de Montaigne  :
 J'aimerais mieux que mon fils apprenne aux tavernes à parler ,
qu'aux écoles de la parlerie . Il me semble , de cette implication
et entrelaçure de langage ,.., qu'il en va comme des joueurs de
passe-passe :.. hors ce battelage , ils ne font rien qui ne soit
commun et vil .
Pour être plus savants , ils n'en sont pas moins ineptes ... "
(Essais Livre III chapitre 8 p 159) .

 

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Professeur Shadock (Fable)

 

 

Ce qui se conçoit bien                  

s'énonce simplement                   

Le compliqué devient                   

du vide un paravent                    

 

Vous n'y comprenez rien ?          

C'est que vous êtes bêtes ...         

Voire disait l'Athénien ...             

n'est-ce pas vous qui l'êtes ?       

 

En cette maïotique                      

vos jugements vous jugent         

En funestes répliques                   

vos arguments vous grugent      

 

Jouer du compliqué                   

n'est qu'un vain artifice ,              

le rasoir sans pitié                        

d'Ockam déjoue le vice                

 

Jouer du compliqué ...

si c'était simplement

une incapacité

à le faire autrement ?

 

Ce qui se conçoit bien

n'est guingois ni bifide

Le compliqué devient

un paravent du vide

 

 

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Ne pas confondre péripatéticien et péripatéticienne (Etymologie)

 

Dans cette même série  d'appréciations , on peut aussi dire :

ne pas confondre :
hablar(espagnol : "parler") et hâbleur
ergo (latin ;"donc" ; cf cogito ergo sum) , ergoteur et ergots
parole et palabre
oraison et péroraison
raisonner et ratiociner ; user et abuser

Comme quoi .. "l'excès en tout est un défaut" , puisqu' avec de mêmes
racines indo-européennes , on peut passer d'un sens "neutre" à un sens
fortement chargé de dépréciations  .

 

1) Dans l'exemple du titre , le sens de l'un à l'autre n'est pas
dépréciatif , mais témoigne d'une évolution extrèmement divergente
des termes .
Le terme "péripatéticien" vient du grec "peripateo" qui signifiait
aller de ci de là , déambuler , se promener ; il se rapportait aux
disciples d'Aristote qui avaient l'habitude de deviser en se
promenant . L'énergie mise ainsi en mouvement par la marche
stimulait leurs facultés de penser , et cette pratique est d'ailleurs
assez courante et donne d'autres illustres exemples avec

notamment Einstein et Godël qui avaient l'habitude de tels exercices .
Le terme "péripatéticienne" se réfère quant-à lui à une même pratique
de déambulation , mais qui ne s'exerce pas avec la même finalité ..

 

2) Le ratiocineur et l'ergoteur
Dans les écoles de la scolastique au Moyen-âge , on parlait latin ,
Aristote trônait en maître , et on usait et abusait de : donc ..donc..
donc.. soit ergo..ergo..ergo..
Cette pratique finit par lasser , et ses détracteurs qualifièrent ses
disciples "d'ergoteurs" ... la similitude avec une expression comme
"se dresser sur ses ergots" n'est qu'une coïncidence , mais l'image
est  néanmoins très suggestive ..A force de se gonfler d'importance
et de bomber le torse , on finit par prêter à sourire ( cf la
citation : "je traverse la rue et je trouve du travail") , qui n'est pas

une "rafarinade" .
Il en est de même pour l'usage immodéré de certains termes , qui
vaut à ses auteurs le qualificatif de "ratiocineur" , de "scientiste"
voire de "caniche des américains"(Tony Blair en son temps , pour être
plus "roi que le roi"), de "péroreurs" et non pas d'orateurs , etc...
A ce propos , on a fait à Descartes une réputation qu'on croit
flatteuse , mais qui est cependant très éloignée de la réalité :
en particulier , la formule tant rabâchée "Cogito , ergo sum " , n'est
pas de Descartes mais de ses zélateurs (Surveillez mes amis , je me
charge de mes ennemis , dit Voltaire et d'autres avant lui..) . Dans
la traduction latine du "Discours de la méthode" , Descartes se
contente de valider la formule "ego cogito , ego sum"
Cette distinction n'est pas anodine , et Descartes qui est disciple
d'un doute radical , ne peut pas en même temps remettre en cause des
opinions établies sur des traditions et ériger la "Raison" en
tradition de substitution ..
Par suite , Descartes évite l'excès des donc , qui font un peu
Ding Donc dans les discours des zélateurs ...
Donnons cette dernière citation de Descartes , qui indique toute sa
prudence dans l'utilisation de la raison par les "ratiocineurs" :
"prenons par exemple un triangle , chose apparemment très simple et
que nous pouvons apparemment égaler très facilement ; nous sommes
néanmoins incapable de l'égaler .
En effet , à supposer même que nous en démontrions tous les attributs
que nous pouvons concevoir , il viendra peut-être dans mille ans un
mathématicien qui y découvrira davantage de propriétés, si bien que
nous ne sommes jamais certains d'avoir compris tout ce qu'il était
possible de comprendre en cette chose .
Et l'on peut faire la même remarque à propos de toutes les autres
choses " (Entretien avec Burman , texte 8 , Puf ) .

 

3) Venant de l'espagnol , nous avons les termes "palabre"(espagnol
palabra pour parole) , hâbleur (espagnol hablar , parler) , et
fanfaron (espagnol fanfarron , de même sens ) .

 

"parole" est la contraction de "parabole" , du grec "paraballo"
(construit avec le suffixe para et la racine de ballo/je lance ,
pour dire quelque chose comme "lancer une discussion").
on retrouve cette même racine dans des termes comme discobole
(lanceur de disques) , diable ( contraction de dia-ballo , qui
"lance de travers") , baliste ,balistique , symbole ( préfixe
syn , avec) , etc...palabre est l'inflexion dépréciative allouée
à ceux qui abusent de discussion "un peu" creuses ...

 

Hablar , et hâbleur qui s'y rapporte , se réfère à une racine qui
signifie "parler" , qui en latin s'énonçait par le verbe for
(je parle , supin fatum)  et en grec par φημι/je parle . Cette
racine , que l'on peut symboliser par F(voyelle) (Pokorny bha
no 105-106) , s'exprime en français dans des mots comme :
enfant (ou espagnol infant(e)) : "qui ne parle pas"
infanterie ( réservée dans les premiers temps à de jeunes personnes)
fable , fabulateur , ineffable ( "indicible") ,faconde , affable (à
qui on peut parler)  ;

de "fama"/renommée : remède de bonnefemme , de "bonne renommée" ,

par abus orthographique , puis infâme (de mauvaise renommée) , etc ...
du supin et participe du verbe latin nous viennent :
fatal ( de la parole divine) , fatidique , mauvais(latin malifatius)
De la racine grecque nous viennent notamment :
euphémisme(préfixe eu/bon) , blasphème (préfixe blas à caractère
sans doute dépréciatif , d'étymologie mal connue) , prophète ( qui
envoie la parole "devant") , aphasie ("sans parole") , etc ...

 

Quant-à fanfaron , ce mot vient de l'espagnol et ne semble pas avoir
de correspondance indo-européenne : delà , on peut probablement
déduire une racine arabe , la plupart des mots non indo-européens
venant de l'espagnol ayant cette particularité ; la racine proposée
serait l'arabe "farfar"/bavardage .  

 

4) Laïus , rodomontade , matamore ... et beaucoup d'autre ...
Laïus ...est le père "légendaire" d'Oedipe ! Au premier concours de
Polytechnique en 1804 , on proposa aux candidats un sujet  sur le
discours prononcé par Laïus à Oedipe : de cette date de 1804 , le

mot est entré dans le vocabulaire ( depuis , on a abondamment
usé et abusé de ce terme dans de nombreux discours "discursifs" ,
pour parler pour ne rien dire , ou tout du moins pour marquer son
territoire par la parole ...) .

 

Matamore est le nom espagnol d'un vantard qui en toutes circonstances
se proposait de rapporter ses "exploits" de tueur de Maures (matar en
espagnol veut dire tuer , on retrouve cette racine dans matador ) .

 

Enfin Rodomont était un roi d'Alger , personnage du Roland amoureux,
puis du Roland furieux de l'Arioste , fier , courageux et fort
insolent ... d'où des rodomontades , comme en son temps on a parlé
de "rafarinades" .

 

5) La "Verbologie" à l'anglaise
Les anglais ont toutes une série de termes pour évoquer les dérapages
"verbologiques" et qui sont pour une bonne part passés dans notre
quotidien : "bullshit" , "crack" , bluff ( ce terme vient de
néerlandais bluffen/se vanter;fanfaronner , et évoquait d'abord dans
la langue de Shakespeare l'assurance avec laquelle on pouvait faire
des annonces bidon au poker pour effaroucher l'adversaire) .
Mais la liste est bien loin d'être exhaustive ... et en français
aussi...


En voici d'ailleurs une petite liste empruntée au dictionnaire des

synonymes de "Sensagent" du Parisien :
hâbleur avaleur, baratineur, beau parleur, bellâtre, blagueur, bluffeur,
bonisseur,  bravache, brodeur, capitan, casseur, charlatan, conteur,
crâneur, craqueur, esbroufeur, exagérateur, fabulateur, faiseur, falstaff,
fanfaron, faraud, farceur, fendant, fendeur, fier-à-bras, fracasse, frondeur,
galéjeur, gascon, imposteur, mâchefer, malin, marius , masseur, massier,  
matamore, menteur, méridional, moqueur, mythomane, narquois , olibrius,
pourfendeur, rodomont, tranche-montagne, vantard, vanteur, vendeur
d'orviétan , péroreur ergoteur, harangueur, laïusseur, palabreur, pontifieur...
etc...etc...
très loin de l'exhaustivité ....

Phirey@free.fr
 

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Lao Tseu et Héraclite : équilibre et complémentarité des contraires

Dialogue , dialogue

 

Les establishments de toutes sortes invitent d'autant plus au dialogue que

deux tendances fondamentales de ce "dialogue" sont mis en avant :

une première tendance qui se renforce est le "dialogue de sourd" ;

on veut bien dialoguer , à condition que ce dialogue soit la porte d'entrée

à "mon" opinion ; tu dis ce que tu veux , mais à la fin , c'est "mon" opinion

qui doit avoir droit de cité , qui doit prédominer .

Une deuxième tendance est la dialogue dit "démocratique" : il est

"démocratique" en ce sens que "la" vérité est établie à la majorité , c'est à

dire au rapport dit "de force" entre les protagonistes . Dès lors , il s'agit de

construire "son" rapport de force , à l'aide de toute stratégie ou tactique

bonnes à prendre , tout est bon , "la fin justifie les moyens" ...

On sait où ce genre de "méthode" peut conduire ...

 

Le problème d'overblog est que cette organisation préconise un "dialogue"

mais que le "dialogue" s'y exerce de façon orienté , contrôlé .

Par l'entremise de ce qui s'apparente au fait du prince , des articles semblent

"disparaître" complètement de toute consultation extérieure ...

Par exemple , 12 articles rédigé en trois mois par mes soins sur ce site

n'ont semble-t-il été consultés par qui que ce soit , à par votre serviteur ,

alors que d'anciens articles "neutres"le sont régulièrement ...

Miracle des tableaux statistiques ...

 

Consulté à 3 reprises depuis plus d'un an , la direction d'overblog

invoque soit un problème de référencement par Google , soit ne dit

rien , soit se récrie vertueusement et se vêt de probité candide ...

 

Le problème est que quelque soit les excuses invoquées , il y a une

responsabilité certaine de l'organisation dans l'exercice du fonctionnement

des sites ...

 

Puisque il ne sert à rien d'écrire des articles qui semblent "déplaire" à quelque

organisme contrôleur , je remplace tous les articles en cours par celui-ci , en

attendant qu'un "miracle" favorise la possibilité de pouvoir

énoncer des

opinions simplement et modestement "indépendantes" .

 

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Héraclite et l'énergie cosmique , le Feu

Dans l'article précédent , il a été question du logos chez Héraclite  ,
sorte de conscience spirituelle de l'univers . Entrons ici un peu plus
dans les détails de la cosmologie héraclitéenne .
Qu'est-ce que le monde pour Héraclite ? D'où vient-il ? Quelle est sa
génèse ?
Son aphorisme d'introduction est net et sans ambiguïté ( les aphorismes
seront ici indexés par le numérotation de Diels ) :
No 30 "Cet univers identique pour tous n'a été crée par aucun dieu , ni
aucun homme , mais il fut toujours , est et sera un feu éternellement
vivant , s'allumant avec mesure et s'éteignant avec mesure"
Qu'entend d'abord Héraclite par mesure ? Il emploie dans son texte le
mot µetra , qui veut dire selon Bailly : instrument pour mesurer /
mesure / juste mesure .
On pourrait interpréter ceci comme une symphonie musicale , qui s'ouvre
avec mesure , sur les mesures de la portée , et qui s'achève avec
mesure , en suivant les mesures de la portée :
le monde serait un orchestre où se joue une partition .
Qui en est le chef d'orchestre ?
Ce n'est ni un dieu , ni un homme nous dit Héraclite , mais comme on
l'a vu dans l'article précédent , le "logos" , "qui gouverne le monde"
(aphorisme No 72) , ou "l'Un ,qui seul est sagesse , et qui souffre ou
ne souffre pas d'être appelé du nom de Zeus" ( ou de tel ou tel autre
nom)(aphorisme No 32) .
Comme Héraclite nous dit que "cet univers est identique pour tous" ,
ce ne sont que les interprétations que nous en faisons qui se
différencient les unes des autres , mais les principes généraux de cet
univers sont "identiques pour tous". Examinons donc l'interprétation
que nous donne LaoTseu avec le Tao :  
"Le Tao qu'on tente de saisir n'est pas le Tao lui-même ,
le nom qu'on veut lui donner n'est pas le nom adéquat .
Sans nom , il représente l'origine de l'univers "
( Lao Tseu , Tao te king , No 1)
On peut ainsi constater que ces deux auteurs nous disent à peu près
la même chose , à la différence des appellations près (Logos ou Tao),
qui de toute façon nous dit Lao Tseu "ne sont pas adéquates" ,
inadéquation confirmée par Héraclite :
No 32 "L'Un , qui seul est sagesse , souffre et ne souffre pas d'être
appelé du nom de Zeus".

 

Que nous dit encore Héraclite dans son aphorisme No 30 ? :
"l'univers fut toujours , est et sera un feu éternellement vivant "
Ce feu , nous l'appelons plutôt aujourd'hui "énergie" , dont on
sait qu'elle s'échange avec de la matière selon la formule E = mc^2.
Héraclite poursuit (aphorisme No 90) :
"Toutes choses sont échangées contre le feu et le feu contre toutes
choses " ("de même que les marchandises sont échangées contre de l'or
et l'or contre des marchandises") .
Et lorsque la matière redevient feu :
"sa masse est conservée selon la même mesure que celle qu'elle
possédait avant qu'elle ne devint terre "
Avec une intuition aiguë , Héraclite nous énonce en des termes d'époque
les principes que nous appelons aujourd'hui "conservation de l'énergie"
et "d'échange entre matière et énergie" .

 

Ainsi le monde d'Héraclite est ce jeu où le Feu-Energie ,  sous
l'inspiration du Logos(-Tao) , se transforme de façon réversible en
matière ( ou en notes d'une symphonie , en mesures et suivant les
portées de la mesure ) .

 

On peut ensuite se demander comment fonctionne le procédé de "descente"
de la spiritualité de "l'Un" , du Logos , vers le domaine matériel  du
quotidien , et de son accessibilité , de sa compréhension  par l'esprit
humain ; Héraclite nous en donne des "signes" :
No 93 " Le maître dont l'oracle est à Delphes ne dit ni ne cache rien ,
mais il donne seulement des signes"  
No 18 "Si tu n'es pas ouvert à l'espérance , tu ne rencontreras pas
l'inespéré , qui est impossible à conjecturer "
No 1 , pour partie " les hommes sont incapables de comprendre le Logos
éternel , aussi bien avant de l'entendre qu'en l'entendant pour la
première fois . Car bien que toutes choses arrivent suivant le Logos ,
les hommes semblent désemparés lorsqu'ils s'essayent à exprimer ou à
agir selon ce que j'expose , en distinguant chaque chose selon sa
nature et ce qu'il en est de cette chose ."
A ce dernier aphorisme lui répond comme un écho celui de Lao Tseu :
No 70 "Mes préceptes sont très faciles à comprendre et très faciles à
pratiquer .Mais nul ne peut les comprendre ni les pratiquer .
Mes préceptes ont leur principe , mon action sa direction .Mais nul ne
les comprend et je reste inconnu du monde "
Ainsi le Logos donne des "signes" , inexprimables dans les langages
humains  et à l'entendement de l'homme  si l'homme n'est pas lui-même
spontanément ouvert à cet au-delà : l'ouverture de la  conscience à
cet au-delà est nécessaire pour espérer se laisser aborder par le
Logos , et l'illustration de cette ouverture nous est donnée
postérieurement par Socrate et son Daïmon :
quand Socrate est abordé par ce "sur-soi" , il entre dans un état où
il semble émerveillé et où plus rien ne semble pouvoir le distraire
de cette rencontre ; et quand il sort de cet état , il sait que cette
expérience sera incommunicable , et il n'essaie jamais de proclamer
"sa"  vérité , se contentant de faire prendre conscience à son
interlocuteur de la fragilité de ses opinions .

 

Le principe d'ouverture que lèguent Socrate ou Héraclite est celui de
se mettre sur le chemin de la recherche , sur la voie de
"l'intro-extra-spection"  , de sortir des ombres de la caverne pour
dé-couvrir le célé , le caché sous le manteau des apparences .
Le chemin de "l'extra-spection" est celui de la démarche scientifique
déjà bien amorcée à leur époque , de connaître les lois selon lesquelles
le Feu-Energie intervient dans le monde ; mais l'un et l'autre mettent
en garde sur les dangers d'une version mécaniste du monde qui oublierait
"l'intro-spection" et l'analyse des conditions par lesquelles le Logos
ou principe spirituel intervient sur le monde : en quelque sorte , unir
la science à la conscience , science sans conscience n'est que ruine de
l'âme suggère Rabelais .  
"Qui se dresse sur la pointe des pieds , ne restera pas longtemps debout ,
... qui se glorifie ne verra pas son mérite reconnu , qui s'exalte ne
deviendra pas un chef" (lao Tseu , no 24)
Toute allusion à un personnage existant ne pourrait être que fortuite ..

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Héraclite et Socrate , premiers adeptes de la "critique de la raison pure"

 

Ηéraclite vécut vers -540 à -480 , Socrate vers -470 à -399 .
Pour rappeler le contexte historique , la bataille de Marathon contre
les Perses eut lieu en -490 (Héraclite avait environ 50 ans) , et
Périclès dirigea Athènes de -461 à -431 (Socrate avait alors de 10 à
40 ans environ) ; il mourut en -429 après le déclenchement de la
guerre du Péloponnèse contre Sparte , guerre qui consacra la défaite
et l'effondrement d'Athènes en -404 .Socrate fut condamné et mourut
en -399 .

 

L'aube de la raison raisonnante a été instituée par les Sophistes en
Grèce vers les années -430 -400 avant notre ère : ces derniers , au
nom de cette raison raisonnante , se faisaient fort de démontrer tout
et son contraire et estimaient  , puisqu'on pouvait avec des arguments
bien affutés démontrer à peu près tout ce qu'on voulait , que ce qui
importait était à peu près uniquement de convaincre ses interlocuteurs
dans les joutes oratoires ou électorales . Ils étaient ainsi des
initiateurs de méthodes qui ont largement fait florès depuis , dans
de nombreux cercles ( cf Schopenhauer et "l'art d'avoir toujours
raison" ) , et qui se sont "perfectionnées" de nos jours dans les
multitudes d'annexes de la "comm" et des "effets d'annonces" .


 
pour Héraclite , les mises en garde dans ce domaine peuvent être
situées dans les aphorismes de référence suivants ( les numéros cités
renvoient à la classification de Diels ) :
No 47 " Sur les plus grandes choses , ne faisons pas de conjectures
à la légère " ( traduction M. Conche)
et le  No 40 : " Une grande érudition n'enseigne pas l'intelligence ,
sinon elle l'aurait donné à Hésiode et Pythagore , .."(trad. J Brun)

Une grande érudition n'enseigne pas l'intelligence , mais elle
permet , conjuguée avec un art rhétorique maîtrisé , d'occuper tout
au moins l'espace du discours , de "marquer son territoire" , et
d'empêcher le ou les autres interlocuteurs d'exprimer leurs points
de vue ..C'est bien ce que nous voyons de nos jours dans maints
"débats" ..
La force de Socrate aura été de prendre les sophistes et autres
rhéteurs à leurs propres jeux , et d'utiliser la raison raisonnante
pour démolir les fausses argumentations de ceux-ci .
Mais Socrate n'est pas un sophiste , il s'arrête là dans son
argumentation et ne va pas jusqu'à "prouver" toutes les fantaisies
qui pourraient lui passer par la tête ( dans ce domaine , Socrate
aurait été très imaginatif , nul ne peut en douter , mais il s'est
toujours refusé à s'engager dans cette voie ) . Les mises en garde
de Socrate sont nettes :
"nous ne percevons de la réalité que l'ombre sur la paroi de la
caverne où nous nous trouvons " et il fait siennes les deux maximes
gravées sur le fronton du temple de Delphes :
" Connais-toi toi-même " et " Rien de trop "
"Rien de trop " : pas d'inflation verbale et de démesure dans les
 propos , dans la conduite , dans les conclusions...
"Connais toi toi-même " : sache trouver par toi-même tes propres
valeurs et ne te contente pas de réciter le "catalogue" de ce qu'on
t'as appris à plus ou moins bon escient , avec plus ou moins bon
escient....  

 

Le logos d' Héraclite et de Socrate , et son devenir .
Après les années -400 avant notre ère , le terme "logos" a pris
les acceptions quasi exclusives de "parole" et de "raison" :
c'est devenu le "discours" argumenté et structuré par la logique ,
et la perception logique du monde vue à travers des procédés de
classifications , de structure et de catégories (la raison) .
En français contemporain , la racine se retrouve  dans des termes
comme "logique","éco-logie" , "cardio-logie","bio-logie", géologie,
mycologie , etc ...., ou pour des termes de discours : monologue ,
dialogue , logorrhée ("le discours qui court"), etc ...
La perception analytique et fragmentée du monde a pris le dessus sur
une perception plus globale et synthétique , on a "coupé en tranche"
la réalité pour en faire ensuite des synthèses , comme si à partir
de "tranches" isolées on pouvait reconstruire la vie , comme si à
partir de photographies de la réalité on pouvait redonner vie à
cette réalité ; on a ainsi confondu le modèle reconstitué de cette
réalité avec la réalité elle-même , comme Marie Shelley a pu le
faire apparaître avec Frankenstein .
Citons à ce propos Descartes , qui n'a pas toujours dit ce qu'on a
voulu comprendre :
"prenons par exemple un triangle , chose apparemment très simple et
que nous pouvons apparemment égaler très facilement ; nous sommes
néammoins incapable de l'égaler .
En effet , à supposer même que nous en démontrions tous les attributs
que nous pouvons concevoir , il viendra peut-être dans mille ans un
mathématicien qui y découvrira davantage de propriétés, si bien que
nous ne sommes jamais certains d'avoir compris tout ce qu'il était
possible de comprendre en cette chose .
Et l'on peut faire la même remarque à propos de toutes les autres
choses " (Entretien avec Burman , texte 8 , Puf )
Ainsi le "modèle" réalisé ne donnera jamais l'assurance de sa
"plénitude" et ne sera jamais qu'un reproduction partielle de cette
réalité .

 

L'utilisation abusive de cette logique est ce qu'on appelle la
"raison raisonnante" , qui se fait toujours fort de démontrer
un peu n'importe quoi  , avec autorité cela va de soi , comme un
regard rétrospectif sur les sciences des temps passés nous en offre
tant d'exemples ..
Ce virage s'est pris essentiellement vers ce moment de -430 à
-400 ans avant notre ère , le logos était avant cette date beaucoup
moins catégorique et catégorisant .
Qu'est-ce que le "logos" pour Héraclite ?
On peut tenter d'expliciter la signification de ce "logos" ancien
en disant que c'est l'esprit ou principe universel qui anime le
monde , qui guide le monde dans son évolution, le conduit vers sa
réalisation , l'esprit omniscient qui "comprend" tout (dans les 2
sens du terme) ; citons les aphorismes :
No 1 (pour partie) " toutes les choses arrivent suivant le logos"
No 72 p.p."le logos qui gouverne le monde"
No 2 p.p. "bien que le logos soit commun à tous , la plupart des
hommes vivent selon leurs réflexions particulières"
No 45 "tu ne saurais atteindre les limites de l'âme , aussi loin
que te porte ta route , tant est profond le logos qu'elle abrite"
Le logos est dans tout , est partout , c'est l'esprit qui
s'adresse à Socrate (son "daimon") lorsqu'il est dans ses phases de
conscience aigüe , c'est cet esprit de conscience globale qui dépasse
l'intelligence mentale de l'homme segmentant la réalité , la
fractionnant par petits bouts et la parcellisant en catégories .
Ce logos ancien est indissociable de la spiritualité , que ce soit une
spiritualité prêtée à une entité agissant sur le monde , ou la
spiritualité propre à l'homme ,  contact entre l'Esprit et la
conscience individuelle .
Ce logos ancien se retrouve en partie dans notre vocabulaire
contemporain sous d'autres racines et vocables , comme le "Verbe" ,
"l'Esprit" , mais cette racine ancienne et première , en perdant
vers -400 ans avant notre ère cet aspect spirituel , a vu son centre
de gravité glisser un peu plus du "Verbe" à la "Verbologie" et à la
"raisin raisonnante" , que Descartes d'ailleurs appelle à utiliser
avec  précaution (cf la citation ci-dessus) .
Cette disparition de la dimension spirituelle du logos s'est alors
accompagnée des emballements du discours et de la "raison
raisonnante" développés pas les sophistes , emballements d'autant
plus légitimés que si tout est prouvable et que toute vérité devient
relative , il n'y a plus vraiment à avoir de problème de conscience :
la seule chose qui compte est d'obtenir une majorité dans une
discussion ou un débat , et de se faire élire .
Les Athéniens avaient accompli la démesure dénoncée sur le temple de
Delphes ("Rien de trop") par cette emphase phraséologique et
perdirent une bataille décisive en Sicile en -413 puis la guerre du
Péloponnèse en -404 ... les Spartiates ayant continué à garder les
pieds sur terre .

 

La suite est connue : l'assèchement du spirituel "traditionnel"
conduisit d'une part au remplacement de ce spirituel par un spirituel
de substitution venu du Moyen-orient et le développement progressif
du Christianisme ; d'autre part l'évolution du logos vers la raison
pure contribua largement à libérer la connaissance scientifique des
pressions des superstitions , avec deux extrêmes qui ont continué à
se déployer : la raison "rigoriste" , l'orthodoxie de la pure ligne ,
qui a connu plusieurs défaites dont la plus sévère avec la
démonstration du théorème de Gödel dans les années 1930 ( un système
logique "suffisamment cohérent" ne peut pas tout démontrer ) ;
d'autre part la permanence d'une "sophistique" qui croit pouvoir s'en
tirer avec des discours de pures formes dont le seul but est
électoraliste .
Mais bien que Descartes ait été abusivement inféodé à un
"cartésianisme" pur et dur ( cf ses réticences à cet emploi dans la
citation du dessus) , la critique de la "raison pure" s'est aussi
bien propagée , tant avec Montaigne que Kant et Gödel , et s'est
installée en position à priori déterminante dans le domaine
scientifique où on considère de plus en plus qu'un modèle n'est
qu'un modèle , et qu'il a vocation à être remplacé un jour par un
autre modèle plus adapté : la citation précédente de Descartes est
de mieux en mieux comprise ...   

 

 

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"intelligence" ou lucidité


 "intelligence" ou lucidité                  Héraclite,fragment 18 :
  récitation ? compréhension ?          Sans ouvrir la conscience ,
  image ou imagination ?                   tu ne dé-couvriras pas d'au-delà
  modélisation ? création ?  


  affichage pour toute mode
  proclamations de foi pour code ?
  ou bien temps de recul sincère  
  d'un regard décillé qui erre ?
                                     

  magie de s'écouter soi-même
  en arbitre des élégances
  du supérieur au plus suprême ,
  en grandioses grandiloquences ?
                                   


  ou bien s'interroger soi-même
  au devenir de ce qu'on sème ,
  être l'infinitésimal
  embrun empli de sidéral ?


  être l'ersatz au vent qui danse
  de péremptoire en périmé
  d'importance en importuné
  de réflections en redondances ?  
                                   

  ou bien entrouvrir la conscience
  et s'ouvrir à l'inconnaissable ,
  de la mer être grain de sable
  qui n'a de science que préscience ?


  être de fantasmagories ,
  préjugé pour tout jugement ,
  ribambelle pour théorie
  en queue leu leu pour tout instant ?
                                    
                                   
  Savoir être persévérant
  attentif au jeu des jusants ,
  aux filigranes de leurs eaux ,
  à l'imperceptible des flots
                                   

  Etre lumière en des marquises
  se prenant pour un arc en ciel ?
  Etre léger quand une brise
  vient à jouer d'une étincelle .

 

Fragment 18 d'Héraclite :                                   
18. Sans l’espérance, vous ne trouverez pas l’inespéré qui est
introuvable et inaccessible.(traduction de Tannery)
18. Si on n'espère pas, on ne trouvera pas l'inespéré; car on
ne peut le chercher, il n'est pas de voie vers lui.
(traduction Simone Weil)
18. Si tu n'espères pas , tu ne trouveras pas l'inespéré qui est
scellé et impénétrable .(traduction Jean Brun)  
18 Sana ouvrir la conscience , tu ne dé-couvriras pas d'au-delà ,
qui restera inaccessible .(traduction personnelle)
elpis (Chantraine : attente , espoir) ; elpomai:attendre,espérer                                
                            

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